Tenir la barre

© Bernard Chatel – http://www.bernardchatel.fr

Tous les jours, directement ou non, nous sommes assaillis par la violence. Les images qui montrent une humanité en crise, partout sur la terre, me remuent. Chaque fois, je me console en regardant les gens autour de moi, je regarde le respect et l’amour que nous avons réussi à installer dans nos relations, et je garde espoir. Je me dis qu’il faut bien commencer quelque part et qu’en gardant le cap, notre cercle grandira et participera d’une meilleure humanité.

Mais il y a des jours plus difficiles. La violence, parfois, fait son chemin jusqu’à nous avec plus d’insistance et vulnérabilise les fondements heureux que j’espère au monde. Le Québec, depuis un certain temps, se cherche, se retourne contre lui-même, se montre sous un jour que je ne croyais pas connaître. Certains me diront que je suis jeune (merci!), mais je n’ai jamais connu un Québec pris dans une telle violence. Car le Québec d’aujourd’hui est violent.

Depuis plusieurs années, au fil des enjeux sociaux et politiques, au gré de mes expériences relationnelles, ma pensée a évoluée. Ma sensibilité à certaines causes s’est exacerbée. Quand je lis certaines chroniques dans les journaux, souvent je me reconnais dans les gens que l’on taxe de radicaux. Je reconnais que ma pensée s’est engagée plus fermement dans le monde, mais je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la justesse de cette étiquette.

Je me souviens que plus jeune, avec toute ma maladresse et mon orgueil, je m’époumonais contre les injustices qui frappaient notre monde. Mon cœur se serrait devant les abus de pouvoir, la violence gratuite et les mensonges qui lésaient une population. Je croyais en un monde meilleur et je cherchais, tout en me débattant moi-même, un moyen pour qu’on y arrive ensemble.

Depuis, la vie a fait son chemin et le monde n’est plus tout à fait le même. J’ai lu plusieurs chroniqueurs dissimulant des mensonges dans une habile rhétorique. J’ai vu des gouvernements défiler et prendre plusieurs décisions qui profitaient à une élite au détriment de la population, des décisions qui cherchaient le report de leur pouvoir et non le bien de ceux qu’ils devaient représenter. J’ai vu la police se militariser, se prêtant grâce aux deniers publics à une course à l’armement. J’ai vu la croissance dans les médias d’une pensée individualiste, capitaliste et machiste. J’ai vu le corps policier brandir la matraque, lever le bouclier, tirer à bout portant sur des gens. Ce ne sont pas que des mots, mais des actions concrètes. Mais ce qui m’exaspère le plus, je crois, c’est que devant toute cette violence, j’ai entendu l’assentiment des gens, que ce soit par l’apathie ou l’encouragement. Cette violence est cautionnée. Cette violence est encouragée. Cette violence!

Nous avons parfois la prétention et l’arrogance de nous croire dans un pays meilleur que d’autres. L’orgueil peut nous encourager à vouloir faire mieux, toujours mieux, mais il peut aussi nous aveugler. En 2012, Amnistie internationale a condamné « l’usage excessif de la force par les autorités policières ». Pourtant, les derniers jours nous ont avertis que le SPVM entend poursuivre dans la même lignée.

Plus jeune, j’ai désiré une société juste, une société de paix et d’égalité qui était prompte à se rassembler pour lutter contre l’injustice. Aujourd’hui, je veux toujours la paix, la discussion et le respect. Je n’y arrive pas toujours moi-même, mais est-ce que cela fait de moi un être radical? Il semble que pour plusieurs chroniqueurs, pour plusieurs ministres et dirigeants du corps policier, cette posture mérite la matraque.

Je suis stupéfait. Je suis attristé. Mais je me dis que contre la laideur, il faut continuer à faire ce qu’il y a de beau en nous. C’est la meilleure façon de garder espoir. Ce n’est pas du déni ou de la naïveté, c’est le courage de continuer. C’est la seule façon d’être au monde: être humain.

5 réflexions sur “Tenir la barre

  1. Ma tristesse est difficile à écrire; merci de prendre la parole et de me donner un peu de souffle. Ici, tu vis en poète; tu participes à créer une aire, un sas de survie collective…
    En effet, la violence dont tu parles n’est plus en sourdine et elle gruge les formes de résistance, révélant la face totalitaire d’un pouvoir qui, plus que jamais, se dérobe devant le sens qu’il reste à faire. Et puis c’est vrai, le silence, la surdité face à la répression sont des catastrophes que la couverture médiatique creuse. Les pseudos-savoirs pullulent. S’inoculer à ce point l’indifférence! J’enrage. Ma rage, ma tristesse et mon enthousiasme me mobilisent. J’ai choisi mon camp.

    Alors je perçois, au-delà du silence émanant de la fausse-sainte-paix-sociale-québécoise, des voix autres. Parfois des cris, des murmures, souvent des textes échangés, des discussions dans les bars, les soupers, les lits. L’agora est disséminée mais elle existe et doit s’étendre encore, petit à petit, ligne après ligne.

    Je résiste patiemment comme on tisse une toile… Il ne s’agit pas nécessairement (ou exclusivement) de lancer des slogans mais d’affirmer, d’exprimer des millions de fois au moins, la singularité de nos sensibilités. Je m’inspire de celles et ceux qui marchent sur le fil de la censure comme des poètes funambules, qui créent, lisent et échangent leurs réflexions.
    Contre la désolidarisation tranquille, faire se toucher des solitudes, c’est vivre ensemble… il me semble. Alors merci de tenir la barre.

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  2. Je n’ai pas pu tenir la barre. Parmi tous mes voyages, j’ai rencontré un jour un pays dans lequel je pouvais croire au futur et j’y suis restée. Quand on me demande pourquoi j’ai émigré d’un pays riche et stable comme le Canada (vu de l’étranger, Québec et Canada ne forment encore qu’une seule entité…), je ne peux que leur répondre qu’à mes yeux le Danemark fait du sens et le Canada/Québec a tellement perdu le sien que j’ai maintenant peur de m’y perdre.
    Je me permets de suggérer ici un livre fort inspirant qui me redonne un vague espoir de retrouver ma place un jour au Québec: Les orphelins politiques, de Paul St-Pierre Plamondon. J’y ai compris que je suis une orpheline politique comme tant d’autre QuébécoisE, mais je me suis trouvé une famille d’accueil au Danemark.

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  3. Merci pour la suggestion Justine. Je comprends tes mots. Rester ou partir se fait sans mérite. Il y a un appel en nous qu’on écoute. Pour moi, malgré les frustrations, il y a encore un monde de beauté, des gens d’amour et une terre magnifique. L’appel est là, réitéré, tous les jours. Mais j’espère encore beaucoup plus.

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