J’allais vous parler de beaucoup d’autres choses. J’allais saisir la nostalgie à deux mains et tenter d’utiliser les racines du passé pour bâtir le présent. J’avais une idée qui faisait son chemin et qui allait venir à moi, et j’avais bon espoir de la faire cheminer jusqu’à vous. En vérité, je voulais tellement de choses que je ne savais pas par quel bout commencer.
J’errais donc, jusqu’à ce que mes yeux s’enfargent dans la dernière entrée de Lise Ravary. C’est à n’y rien comprendre, il y a des choses qu’on ne cherche pas, qu’on préférerait même éviter à tout prix, et qui pourtant surgissent devant nous à répétition, comme un cauchemar qui revient chaque fois que l’on replonge dans le sommeil.
Pour ma santé mentale, j’ai cessé de lire Denise Bombardier il y a belle lurette. Pour les mêmes raisons, je n’ai jamais syntonisé choi.fm. Il y a là des raccourcis dangereux, une rhétorique fallacieuse appliquée avec véhémence qui nuit à notre monde. J’évite assidûment la lecture des commentaires qui suit les articles sur internet, où l’on retrouve souvent une anonyme violence qui ne trouverait normalement pas de place dans l’espace public. La liberté d’expression, une richesse comme bien d’autres : utile et émancipatrice que si on l’utilise à bon escient.
Lise Ravary, donc. Je vous jure que je ne tiens pas à la démoniser plus que quiconque. C’est elle que j’ai trouvée sur mon chemin, mais c’est un hasard que ce ne fût pas quelqu’un d’autre. Reste que c’est par le truchement de ses mots que j’ai été saisi par la misère qui gruge notre société. Je n’ai lu que peu de ses chroniques et il semble que je ne sois pas souvent d’accord avec elle. Sur le plan des idées, s’entend. Mais je m’en fous. Le monde est complexe et il importe que les êtres qui le peuplent choisissent des angles différents, des points de vue qui s’affrontent. Et puis, je ne serais pas étonné de partager beaucoup plus que je ne le crois avec elle.
Parce que tout autant que nous sommes, nos idées se confrontent et façonnent notre monde, cela est juste et bon. Reste qu’il est une manière de dire, de proposer, d’argumenter. Pourquoi Mme Ravary a-t-elle le besoin de s’exprimer comme si elle seule détenait la vérité? Sa chronique est d’importance, elle rejoint plusieurs personnes et en cela, il faut qu’elle ait obtenu l’assentiment d’une large part de notre société. Mais qu’on lui confère le crachoir lui donne-t-elle le droit de cracher sur autrui? J’en doute.
La dernière entrée en date de Lise Ravary relève d’une guerre de mots. Ce n’est pas un message d’ouverture, ce n’est pas une prise de position respectueuse, un argumentaire constructif. C’est une position guerrière, des mots violents qui condamnent et attaquent. Il n’y a nulle part de place pour le respect. Un chemin vers la réconciliation. Il y a une femme qui écrit dans sa tour de guet et qui décoche des flèches à tous ceux qui ne pensent pas comme elle. Il me semble bien que tuer, symboliquement, soit l’objectif principal de son texte.
Mme Ravary a probablement gravi un à un les échelons jusqu’à la notoriété qui lui échoit désormais. Elle n’est pourtant au-dessus de personne. Je suis sans mots devant son désir d’humilier autrui. Elle qui a fait des mots son principal outil de travail sait très bien le pouvoir dont ils sont investis. Ainsi, pourquoi les utiliser afin de casser, d’intimider, de détruire?
Notre société de droit a condamné récemment des citoyens pour intimidation, par le truchement des médias sociaux. Aujourd’hui, devant la charge violente de la chronique de Mme Ravary, je suis devant plusieurs questions. Le Québec est-il véritablement en paix? Que faire devant ceux qui, prônant le mépris et l’absence de respect, déclarent la guerre à répétition? Pourquoi conférons-nous autant de pouvoir aux gens qui se placent au-dessus de l’humanité?
Je ne suis qu’un être humain. Un citoyen ordinaire qui aujourd’hui pense une chose de toutes ses forces, qui demain peut-être changera d’idée. Je suis pris, moi aussi, dans la circonvolution de mes imperfections, avec mes luttes intérieures et mes dérapages. Mais je ne tolère pas qu’on utilise une place privilégiée de la place publique pour vilipender, pour tabasser, pour détruire.
Mme Ravary, je n’accepte pas d’aller en guerre contre vous. Je laisserai désormais vos coups d’épée se défouler en vain contre l’eau. Je vous laisserai faire d’inutiles vagues. Mais il m’importe aujourd’hui de vous dire que je ne veux pas de votre manière de dire au monde. Je ne comprends pas votre posture. Je ne comprends pas les intérêts que vous défendez.
Et je condamne votre violence.
P.S. Derrière la photo: Michel Hébert (mikehebert@gmail.com)