En croisade contre les moulins à paroles

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

© Michel Hébert

J’allais vous parler de beaucoup d’autres choses. J’allais saisir la nostalgie à deux mains et tenter d’utiliser les racines du passé pour bâtir le présent. J’avais une idée qui faisait son chemin et qui allait venir à moi, et j’avais bon espoir de la faire cheminer jusqu’à vous. En vérité, je voulais tellement de choses que je ne savais pas par quel bout commencer.

J’errais donc, jusqu’à ce que mes yeux s’enfargent dans la dernière entrée de Lise Ravary. C’est à n’y rien comprendre, il y a des choses qu’on ne cherche pas, qu’on préférerait même éviter à tout prix, et qui pourtant surgissent devant nous à répétition, comme un cauchemar qui revient chaque fois que l’on replonge dans le sommeil.

Pour ma santé mentale, j’ai cessé de lire Denise Bombardier il y a belle lurette. Pour les mêmes raisons, je n’ai jamais syntonisé choi.fm. Il y a là des raccourcis dangereux, une rhétorique fallacieuse appliquée avec véhémence qui nuit à notre monde. J’évite assidûment la lecture des commentaires qui suit les articles sur internet, où l’on retrouve souvent une anonyme violence qui ne trouverait normalement pas de place dans l’espace public. La liberté d’expression, une richesse comme bien d’autres : utile et émancipatrice que si on l’utilise à bon escient.

Lise Ravary, donc. Je vous jure que je ne tiens pas à la démoniser plus que quiconque. C’est elle que j’ai trouvée sur mon chemin, mais c’est un hasard que ce ne fût pas quelqu’un d’autre. Reste que c’est par le truchement de ses mots que j’ai été saisi par la misère qui gruge notre société. Je n’ai lu que peu de ses chroniques et il semble que je ne sois pas souvent d’accord avec elle. Sur le plan des idées, s’entend. Mais je m’en fous. Le monde est complexe et il importe que les êtres qui le peuplent choisissent des angles différents, des points de vue qui s’affrontent. Et puis, je ne serais pas étonné de partager beaucoup plus que je ne le crois avec elle.

Parce que tout autant que nous sommes, nos idées se confrontent et façonnent notre monde, cela est juste et bon. Reste qu’il est une manière de dire, de proposer, d’argumenter. Pourquoi Mme Ravary a-t-elle le besoin de s’exprimer comme si elle seule détenait la vérité? Sa chronique est d’importance, elle rejoint plusieurs personnes et en cela, il faut qu’elle ait obtenu l’assentiment d’une large part de notre société. Mais qu’on lui confère le crachoir lui donne-t-elle le droit de cracher sur autrui? J’en doute.

La dernière entrée en date de Lise Ravary relève d’une guerre de mots. Ce n’est pas un message d’ouverture, ce n’est pas une prise de position respectueuse, un argumentaire constructif. C’est une position guerrière, des mots violents qui condamnent et attaquent. Il n’y a nulle part de place pour le respect. Un chemin vers la réconciliation. Il y a une femme qui écrit dans sa tour de guet et qui décoche des flèches à tous ceux qui ne pensent pas comme elle. Il me semble bien que tuer, symboliquement, soit l’objectif principal de son texte.

Mme Ravary a probablement gravi un à un les échelons jusqu’à la notoriété qui lui échoit désormais. Elle n’est pourtant au-dessus de personne. Je suis sans mots devant son désir d’humilier autrui. Elle qui a fait des mots son principal outil de travail sait très bien le pouvoir dont ils sont investis. Ainsi, pourquoi les utiliser afin de casser, d’intimider, de détruire?

Notre société de droit a condamné récemment des citoyens pour intimidation, par le truchement des médias sociaux. Aujourd’hui, devant la charge violente de la chronique de Mme Ravary, je suis devant plusieurs questions. Le Québec est-il véritablement en paix? Que faire devant ceux qui, prônant le mépris et l’absence de respect, déclarent la guerre à répétition? Pourquoi conférons-nous autant de pouvoir aux gens qui se placent au-dessus de l’humanité?

Je ne suis qu’un être humain. Un citoyen ordinaire qui aujourd’hui pense une chose de toutes ses forces, qui demain peut-être changera d’idée. Je suis pris, moi aussi, dans la circonvolution de mes imperfections, avec mes luttes intérieures et mes dérapages. Mais je ne tolère pas qu’on utilise une place privilégiée de la place publique pour vilipender, pour tabasser, pour détruire.

Mme Ravary, je n’accepte pas d’aller en guerre contre vous. Je laisserai désormais vos coups d’épée se défouler en vain contre l’eau. Je vous laisserai faire d’inutiles vagues. Mais il m’importe aujourd’hui de vous dire que je ne veux pas de votre manière de dire au monde. Je ne comprends pas votre posture. Je ne comprends pas les intérêts que vous défendez.

Et je condamne votre violence.

P.S. Derrière la photo: Michel Hébert (mikehebert@gmail.com)

Publicité

Mon chien a mangé Retailles

© Michel Hébert

Quand j’étais plus jeune, c’était la vaisselle qui s’empilait sur le coin du lavabo. Plus tard, c’est la multiplication des cartables qui refusaient de prendre place dans mon sac à dos. En vieillissant, les piles s’accumulent, deviennent plus nombreuses. Aujourd’hui, c’est ainsi que je vois ma maison, un temple reposant sur des dizaines de piles, des colonnes instables à faire rire les plus Corinthiens d’entre nous. La vaisselle, les vêtements, les livres à lire, les appels à retourner, les réponses de courriel à écrire, les comptes à régler, les objectifs à atteindre au boulot, les petites choses à faire au quotidien qui n’ont pas de nom mais qui sans cesse se renouvellent. Et dans le labyrinthe de toutes ces piles qui peuplent nos existences et condamnent nos jours à errer d’une occupation à l’autre, il y a les textes à écrire.

C’est la pile que je chéris la plus entre toutes, et je prends bien soin de libérer du temps pour m’en occuper. Cette colonne fragile faite de chemises de manuscrits, de feuilles jaunies par le temps, tachées de café et de bière, de feuilles arrachées aux cahiers, de morceaux de napperons déchirés, de factures barbouillées à l’endos. Cette pile est la plus imposante de toutes, et pourtant c’est la moins intimidante. Dans l’interstice de toutes ces feuilles, mon esprit pourra s’aérer, je pourrai parcourir le monde à ma guise, voyager à travers le temps et rencontrer les gens qui me manquent, les lieux qui m’habitent.

Habituellement, il y a dans cette pile une dizaine de projets. Certains sont sur le dessus et ancrés profondément en moi, d’autres sont satellites de mes préoccupations et je les remets sans cesse à la semaine suivante. Et puis il y a Retailles, comme une nouvelle obligation hebdomadaire, une contrainte et aussi une grande liberté que je me donne, chaque semaine. Mais cette semaine, dans cette pile, je n’ai eu le temps de m’attaquer qu’à une chose : mon recueil de poésie. Cette étrange bête qui prenait de l’ampleur depuis si longtemps, je l’ai enfin envoyé aux éditeurs. Reste qu’au final, je n’ai pas trouvé le temps d’écrire ma chronique pour Retailles, et c’est là que nous en sommes.

Vous me pardonnerez d’avoir si longuement tourné autour du pot, il y a longtemps que j’ai remis un travail en retard et j’ai perdu cette rhétorique d’excuses qui m’a si souvent servie au temps de mes études. M’enfin, en guise d’excuses, si vous me le permettez, je vous offre deux poèmes. Je ne peux vous donner mes préférés : je les ai soumis à un concours et ils ne doivent pas avoir été publiés. Je vous offre donc deux poèmes ordinaires, inédits. Des poèmes de la classe moyenne.

.

Le ciel est magnifique et le film est au bout de sa bobine

T’avais déjà la main sur la poignée

t’allais partir

au bout de tes doigts

ta valise

la porte de la chambre

la porte du taxi

.

à l’autre bout de la ville

on huilait les réacteurs

à l’autre bout du monde

on te dessinait une pancarte

bon retour

.

ici le réveil sonnait une heure vide

le plancher cherchait tes pas

le café attendait tes lèvres

.

moi j’avais la main sur ton épaule

mais c’est tout ton corps que je sentais

un souffle en sursis

un tremblement ultime

.

les murs avaient les oreilles grandes ouvertes

mais les mots ne trouvaient pas leur chemin

à travers ta lèvre mordue

mon sourire béat

.

ta main s’est refermée sur la poignée

moi aussi j’ai serré plus fort

t’as tourné les talons

quand j’allais dire

reste

.

dehors le soleil gueulait le jour nouveau

les hirondelles cherchaient la faille du ciel

et le chauffeur de taxi klaxonnait

il en avait vu d’autres

.

pars pas

pas après une nuit comme ça

c’est pas la fin ça

c’est le début

.

et t’as enlevé ta main de la poignée

t’as déboutonné ta blouse

dégrafé ton soutien-gorge

j’allais renvoyer le taxi d’un signe de la main

et t’as dit

.

tiens

souvenir

.

mes mains sur ton soutien-gorge

vide de ton frémissement

.

le chauffeur de taxi a fait un grand sourire

pas moi

.

assise sur la banquette arrière

tu m’as tendu la main

comme pour attraper la mienne

tu mordais encore ta lèvre

et moi

je mordais la poussière

.

P.S. Merci à Michel Hébert pour la photo. Pour le contacter: mikehebert@gmail.com