Journal de quarantaine – Jour #16

Journal de quarantaine #16

La communauté morcelée

Je vous ai déjà parlé des Chaloupes, mon club de hockey du dimanche, mais je ne vous ai pas tout dit. Plus qu’à une équipe, je me réclame d’une ligue : la Kzom. Le lien qui unit les joueurs.ses de cette ligue existe probablement ailleurs – souhaitons-le –, mais en ce qui me concerne, il est plutôt inédit.

Quand on lutte pour la victoire, semaine après semaine, quand une Coupe est en jeu et que les participant.e.s sont animé.e.s d’un fort sens de la compétitivité, il n’est pas naturel de développer des liens avec les autres équipes. C’est pourtant le tour de force qu’ont accompli les deux créateurs de la ligue, Mathieu Beauchamp et Charlie Phaneuf, leur digne héritier, Mario Durocher, ainsi que toustes ceulles qui, dimanche après dimanche, se dévouent à la concrétisation de cette journée de hockey, emmuré.e.s dès 9h le matin jusqu’à 22h le soir.

La Kzom fêtera cette année ses dix ans. Ça n’a pas été facile, au départ, d’instaurer un climat de saine compétitivité. Une sorte de safe space sportif. Il fallait définir une ligne claire délimitant le désir de gagner et le respect de l’autre. Le hockey, particulièrement, baigne dans une culture nourrie de coups en bas de la ceinture et de trash talk (aucune traduction ne me satisfait, vous avez des suggestions?). En d’autres mots : si tu ne te fais pas prendre par l’arbitre, tu as toute licence… Mouvement contre-culturel, donc, la Kzom a dû, à ses débuts, renvoyer des équipes qui refusaient de se conformer à ce nouvel état d’esprit. Encore aujourd’hui, quand de nouvelles équipes se greffent à la ligue, les ajustements ne se font pas sans heurts. J’en ai entendu, des gars dire à l’arbitre qu’on ne jouait pas à la ringuette…

En organisant des activités parahockey, en instaurant une communication joviale et ouverte entre arbitres et joueurs.ses, au prix de beaucoup d’efforts et, surtout, avec beaucoup de passion, la Kzom a réussi à créer une communauté. Les joueurs.ses se connaissent et se respectent. Plusieurs s’appellent par leur prénom et il arrive que des joueurs adverses se félicitent pour leurs prouesses. Tout ça, je vous jure, avec une intensité élevée et un très grand désir de gagner. Oui, c’est pas mal beau.

Mais voilà, ce matin, j’ai appris que l’un de nos adversaires, un franc-tireur hors pair que je n’ai jamais vu sans son bandeau sportif, est coincé en Inde. J’en ai passé, des dimanches, à lui courir après, et il m’est arrivé, trop souvent, d’être aux premières loges de ses buts. Mais aujourd’hui, le hockey semble appartenir à un autre monde.

Lui, sa blonde et leurs deux enfants ont gagné l’Inde au début de janvier. Aussitôt que les recommandations gouvernementales ont prescrit un retour au pays, ils ont acheté leur billet de retour. Trois billets, à vrai dire. Les trois vols ont été annulés et les voilà isolés, dans des conditions bien loin de celles que nous connaissons ici. Loin de leur toit, leur nid, leur abri. Loin de leurs amis, de leur famille. Loin de chez eux.

Je sais que le gouvernement canadien travaille pour ramener ses citoyen.ne.s au pays. Des vols spéciaux ont été organisés pour les rapatrier du Pérou, de l’Équateur et de l’Algérie. J’imagine que la tâche est complexe. Colossale. La France, l’Allemagne et l’Ukraine ont réussi, en nolisant autobus et avions, à rapatrier leurs citoyen.ne.s coincé.e.s en Inde. Plus de 15 000 Canadien.ne.s attendent que leur sort connaisse un pareil dénouement.

Une pétition circule présentement pour mettre de la pression sur le gouvernement pour concrétiser le retour de Maxime Ouellet, Sara-Nadine Lanouette, leurs enfants et leurs concitoyen.ne.s, pris dans cette angoissante situation. Comme vis-à-vis de bien d’autres situations, je me sens bien impuissant, mais faute de mieux, je vous invite à ajouter votre nom à ces efforts désespérés.

En attendant de bonnes nouvelles, je vous redonne rendez-vous ici, demain.

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