Signature

Revue Zinc

Que serions-nous sans les internets? Autre chose, dirait l’autre. Et voilà d’ailleurs ce que nous avons été pendant des millénaires: autre chose. Et que serions-nous sans le papier? Je vous laisse le soin de poser la question à l’autre. Pour ma part, je vous invite à ma dernière parution en date – sur papier cette fois -: Signature, un récit sobre et amusant campé dans les aléas de mon adolescence. Vous lirez ça dans le dernier numéro de Revue Zinc, si le coeur vous en dit. En voici d’ailleurs un court extrait:

« Mais c’est dans les brumes de l’adolescence que la véritable recherche a commencée, alors que j’étais mû par le désir de trouver cette signature authentique, celle qui devait devenir ma fierté, dans les haillons fragiles de mes 15 ans. Je l’ai encore, cette feuille 100 fois griffonnée, ces tentatives répétées et répétées à l’encre bleue, puis noire, puis verte, jaune, rouge, où mon écriture s’entasse pêle-mêle, suivant les lignes de la feuille, puis s’éparpillant au hasard des blancs qui devaient rester sur celle-ci, signant dans tous les sens. Il y a aussi ces « bonjour » au sommet de la feuille, un mot comme un autre, le premier qui m’était venu pour vérifier si chacun des crayons fonctionnait. De toutes ces tentatives, quatre sont encerclées. Peut-être que l’une d’elles s’est retrouvée sur mon premier chèque, sur ma carte d’abonnement au club vidéo du coin, mais je n’en reconnais aucune. Il a fallu bien plus que cette feuille, bien plus qu’une journée, pour fixer, dans le réflexe de ma main, ces traits étranges qui diraient, un jour : voici ce que je suis. »

Les Stones et la résurrection cubaine

Che

Si vous l’aviez raté sur Ricochet, le voici aujourd’hui en redite sur Retailles.

         À quelques pas de la Plaza de la Revolución, sous le regard impuissant du Che Guevara, les Rolling Stones ont convoqué l’histoire, certains qu’elle ne raterait pas un tel rendez-vous. Quelques jours après la visite du président Obama en terre cubaine – une première en 88 ans –, le groupe mythique a emboîté le pas, icône d’une musique bannie sur l’île pendant plus de cinquante ans. L’Histoire n’a cependant pas dit son dernier mot et il faudra s’en remettre au temps – cet autre capricieux –, pour juger de l’importance de l’événement. En attendant, la machine des Stones n’a montré aucune faille, ravissant une foule en liesse.

            Les chansons ont déferlé sur une foule bigarrée, peuplée autant de touristes que de Cubains. Les succès, intacts malgré le poids des décennies, ne faisaient cependant aucune distinction. La musique, encore une fois, montrait son pouvoir, rassemblant femmes et hommes de tous âges, par-delà les frontières et l’épaisseur du portefeuille. Il ne restait qu’à danser et acclamer les innombrables déhanchements de l’énergique Mick Jagger, inépuisable malgré les années.

            Contrairement à l’impérialisme capitaliste, qui depuis longtemps ne ressent plus le besoin de faire des courbettes polies à la rencontre de l’altérité, Jagger a eu l’amabilité de faire toutes ses interventions en espagnol. Sauf une, ce qui n’a pas manqué de froisser cette spectatrice, qui y est allée de son plus grand cri, revendiquant des mots « En espagnol! » Mais nous n’étions pas au Québec et cette femme n’était pas Péladeau, l’affaire en est restée là et n’a pas défrayé les manchettes. Pour le reste, Jagger a souvent rappelé le caractère historique de leur présence, remerciant à plusieurs reprises les Cubains pour leur apport au registre musical mondial et leur accueil chaleureux. Il s’est gardé de toute arrogance aussi, demeurant prudent et poli dans ses remarques : « Nous savons qu’autrefois il était difficile d’écouter notre musique à Cuba, mais nous voilà sur scène. On pense aussi que les temps changent. » Chaque fois, ses mots ont été accompagné par les applaudissements nourris de la foule, renforçant l’idée que sa voix rejoignait celle de beaucoup de Cubains.

            Par ailleurs, si la soirée devait marquer la victoire d’un système sur un autre, il importait aux étoiles rock de ne pas le souligner. Malgré l’assentiment général de la venue du célèbre groupe, quelques voix dissidentes s’érigeaient dans les jours précédents le concert : « Ils auraient pu venir avant. Malgré ce qu’on raconte, les opportunités étaient là. Mais ils ont choisi la facilité, ils ont choisi leur camp et ils arrivent en héros, au moment où tout est joué déjà. L’histoire, ce n’est pas un concert, c’est une révolution avortée », nous confiait une source qui préférait demeurée anonyme. Vrai que les Stones ne sont ni Fela Kuti ni Nina Simone, mais quand un drapeau cubain s’est retrouvé sur scène, pendant le bref moment où Jagger l’a brandi, on pouvait se demander ce qui était le plus gros : le symbole dans les mains d’un homme où une rockstar se jouant des codes. Plusieurs jeunes Cubains s’affichaient ouvertement avec le drapeau étatsunien, comme un rappel que le pays n’est pas au bout de ses déchirements.

            Pour les inconditionnels du groupe, le quatuor – Mick Jagger, Keith Richards, Ronnie Wood et Charlie Watts – n’a joué aucune fausse note, surfant dans leur large répertoire et ne montrant aucune lassitude apparente à rejouer pour la énième fois les Start me up, Angie, Sympathy for the Devil et Honky Tonk Woman. Ceux qui espéraient une reprise rock de Chan chan – grand succès de Buena Vista Social Club – auront été déçus, mais le groupe a été généreux. Au rappel, la présence du chœur cubain Entrevoces, en ouverture de You can’t always get what you want, a offert quelques frissons à la foule. Mais c’est avec le clou du spectacle que le groupe britannique a fait le plus d’heureux. Comme si le spectacle d’un peu plus de deux heures n’avait servi qu’à mettre la table à ce moment ultime, aux premières notes de I can’t get no satisfaction, sous l’impulsion d’une foule d’un demi-million de personnes pourtant déjà survoltées, on a senti la terre de la Havane trembler. Voilà l’effet Stones.

            Au lendemain de la frénésie, les succès jouent encore en sourdine dans quelques cafés, en des adaptations samba. Et à l’instar de nombreuses compositions musicales du groupe rock où le climax des chansons trouve son dénouement dans une modulation de la partition, une distorsion des accords et l’effondrement graduel de la musique, laissant aux soins de l’auguste Charlie Watts quelques battements de sursis, on peut se demander ce qui attend Cuba. Tandis que sa partition s’ouvre sur une nouvelle portée, il importe peu de savoir si les Stones auront marqué ou non l’histoire du pays, mais tous se demandent la place qu’occupera désormais Cuba sur l’échiquier mondial. Parce qu’aujourd’hui, sur les lèvres des Cubains en berne autant que sur celles heureux des changements politiques et économiques, un refrain joue sa douce ironie : « You can’t always get what you want / But if you try sometime, you just might find / You get what you need ».