Vendredis-moi tout – 20 novembre 2020

Je ne m’astreindrai pas à vous faire la liste de tout ce qui a été bouleversé dans le monde, depuis qu’un pangolin a éternué dans le chow mein d’un marchand à Huanan. Plutôt, je vous inviterai aux Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM) – dont la 23e itération a cours en ce moment –, dans sa mouture adaptée au contexte actuel.

Tout est en ligne. Plus de 150 films au total, divisés en 8 thèmes – ou sections. Vous pouvez vous procurer un passeport, vous donnant accès à toute la programmation, ou choisir vos sections à la pièce, vous permettant de visionner les films qui y sont regroupés, disponibles pendant une semaine.

Ce n’est pas parfait, évidemment. Il manque l’énergie de la foule, le caractère immersif du grand écran, la présence des documentaristes pour échanger avec le public, mais il y a, au moins, quelques avantages : une salle pleine ne vous empêchera pas de voir le film de votre choix, et vous pourrez voir autant de documentaires que vous le désirez en restant bien au chaud, chez vous.

Fidèle aux années précédentes, la sélection est touffue, variée et de grande qualité. La première semaine vient de s’achever, et depuis hier, trois nouveaux thèmes sont disponibles (les RIDM se terminent le 2 décembre). Pour vous en donner l’envie, voici trois coups de cœur de la première pelletée de documentaires, glanés au hasard des thèmes de la première semaine. Ils ne sont plus en ligne, mais on peut espérer les retrouver un jour sur Tënk.

Piedra sola

Cette fable onirique nous invite sur les plateaux du nord de l’Argentine, à 4000 mètres au-dessus du niveau de la mer, tout près de la frontière bolivienne. Le cinéaste Alejandro Telémaco Tarraf s’invite dans une famille qui élève des lamas, au sein d’une petite communauté quechua nichée dans les montagnes. Un puma ou, au moins, son esprit, rôde, menaçant la horde de lamas. La vie est précaire, mais on s’y accroche, déterrant l’espoir dans les rituels ancestraux, dans le respect de Pachamama et la chaleur de la communauté.

La fable s’étiole, préférant le symbolique au trivial, mais on célèbre chaque plan, où ciels orageux, Andes brumeuses, clair-obscur et portraits vivants nous happent de beauté. Du très grand art.

Clean With Me (After Dark)

À l’opposé de Piedra sola, Clean With Me (After Dark) est ancré dans la banalité du quotidien, soutenu par une facture visuelle crue. Réalisé avec peu de moyens, la réalisatrice Gabrielle Stemmer nous invite en effet à naviguer avec elle sur l’écran de son ordinateur, à la poursuite de quelques femmes devenues populaires sur les réseaux sociaux, où elles se filment en nettoyant compulsivement leur maison. L’apparente vacuité de la proposition dépoussière très vite une grande détresse, tandis que ces femmes abandonnent le maquillage opaque de leur persona pour se dévoiler dans une grande vulnérabilité. Original, touchant et brûlant d’actualité.

Merry Christmas, Yiwu

La ville-district de Yiwu dénombre pas moins de 600 usines fabriquant des décorations de Noël pour le monde entier. Boules de Noël, guirlandes, costumes et tout ce que j’oublie : tout ça est fait à la main! Sans tomber dans le pamphlet ou l’apitoiement, le réalisateur Mladen Kovacevic nous invite à l’ordinaire de ces milieux ouvriers, où il contemple l’ampleur du travail mais aussi, les mœurs des gens qui y travaillent, leurs joutes amoureuses, leurs croyances et leurs aspirations. À l’orée de cette fête patentée, voilà qui remet les choses en perspective.

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Jeudis-moi tout

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Il y a quelques années, lors de vacances dans le Maine, j’avais été fasciné par le combat de quelques enfants qui, ayant employé leur journée à bâtir un immense château de sable, avaient mené une intense bataille contre la marée, imposante force de la nature qui avalait le fruit de leurs efforts. C’était un jeu bien sûr, mais il y avait, dans cette lutte contre l’irrémédiable, le reflet de la nature humaine. Un instinct de survie qui se refuse à l’abandon, même si le combat semble vain.

Le documentaire L’arche d’Anote, en première au RIDM+ la semaine dernière et à l’affiche cette semaine à la Cinémathèque québécoise, raconte l’histoire de la population de Kiribati, un pays d’une centaine de milliers d’âmes habitant un archipel d’îles en plein cœur du Pacifique. Le film de Matthieu Rytz présente des paysages envoûtants, une culture forte et quelques personnages inspirants, dont le Président de la République, engagé dans un combat pour la sauvegarde de son pays. C’est qu’avec les changements climatiques, le déplacement géographique des tempêtes tropicales et la montée des eaux, les prédictions les plus optimistes envisagent que Kiribati disparaîtra sous les eaux d’ici le prochain centenaire.

Tandis que la consommation mondiale va croissante et que les mesures pour contrer les changements climatiques demeurent timides, le peuple de Kiribati érigent des digues pour contrer la montée, irrémédiable, des eaux. Un film magnifique, empreint d’une beauté triste, qui fait entendre, une fois de plus, un cri d’alarme pour la survie de la vie humaine sur Terre. À voir.