Journal de quarantaine – Jour #1

Journal de quarantaine #1Ce soir, douché par la faible lumière de mon bureau, l’iris stimulé par la blancheur cathodique de mon écran et les oreilles branchées sur un petit jazz, on pourrait croire que tout est au beau fixe. Mon fils dort, ma blonde lit dans le salon et je suis seul avec mes mots. Or, ça vrille dans ma tête, comme ce bulletin de nouvelles qui rafraîchit ses misères internationales à chaque seconde. La paix de la nuit, cette fois, ne trouve pas son chemin jusqu’à moi.

J’ai perdu ma job de salarié aujourd’hui – je ne dis pas ça pour me plaindre, j’ai souhaité que ça arrive, par devoir civique –, jusqu’à nouvel ordre. Le bar où je travaille, à l’instar des arénas, des bibliothèques, des musées, des gymnases d’entraînement, des salles de spectacle et qu’oublie-je encore, a fermé ses portes, pour éviter la propagation. Demain m’attend une nouvelle journée de huis clos, qui suit la précédente, et la précédente, et l’autre d’avant. Depuis vendredi, je n’ai pas vu beaucoup de visages. Ma blonde et moi, on a tout lu et, comme tant d’autres, on en est venu à une conclusion : on annule tout. Ce soir, devant mon ordi, je suis un peu vidé.

Habitué de me nourrir dans la voix des autres, de baigner dans leur regard, d’espionner leurs manies et leurs potins, je suis à sec. Ma nourriture terrestre est virtuelle. C’est une bouffe 2.0. Des échanges par courriel ou par texto, quelques appels téléphoniques, certes, mais la vie, celle qui appartient à la routine tout autant que celle qui relève de la spontanéité, m’échappe. Ce monde de la chair, de la sueur et de la chaleur, la fratrie, les amis, les collègues, le tapage, la pollution et la beauté nés du choc des êtres humains… désormais, je dois l’imaginer. Seul dans mon bureau, je me demande : pourrai-je apprivoiser cette solidarité née de l’isolation?

Ainsi, histoire de nourrir cette solitude, je vous propose de nous rejoindre par les mots. C’est le chemin qui m’est le plus familier, de toute façon. J’entame donc ce que j’appellerai mon Journal de quarantaine. Je ne vous dis pas ce que c’est : je ne le sais pas. Sinon ceci : ce sera un lieu d’évasion, afin que le texte, en attendant la tombée des murs, puisse voler vers vous. Les contraintes sont nécessaires, mais la liberté, elle, est essentielle.

Rendez-vous ici, demain.

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3 réflexions sur “Journal de quarantaine – Jour #1

  1. Querido amigo Yannick, acabamos de leer tu texto con Lucas mientras nos preparamos para cenar, nos resultó muy bello y sensato el relato. Aquí estamos en proceso de guardarnos también, entre miedos e incertidumbres.
    Les envíamos un gran cariño a les tres.
    Abrazo tanguero Sofia y Lucas!
    Pd.: la próxima trataré escribirles en francés.

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  2. Comme la terre est petite.
    Je me trouve aussi en quarantaine mais bien loin de mon Québec.
    Je me trouve au Vietnam, sur la plage qu’on appelle « Starfish beach » à l’île de PhuQuoc. Dans ma tente de 6’x8’, sur le bord de la mer de Thaïlande, je squatais sur un terrain appartenant à une famille de pêcheur. Voilà que suite à la visite d’un touriste infecté le village de Starfish beach est en quarantaine….
    Loin de chez moi mais pas à plaindre. J’ai ce Facebook qui me relie au reste de ma planète!

    Aimé par 1 personne

    • Ayaye. Quelle situation! J’espère que le moral est bon. Il me semble aussi que Facebook se révèle soudain fort utile et rassembleur. En espérant que ce texte puisse créer d’autres ponts jusqu’au Vietnam!

      J’aime

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