Journal de quarantaine – Jour #5

Journal de quarantaine #5

Crédit photo: Michel Hébert

Des millions de rames

Vous ne serez pas surpris d’apprendre – mais peut-être le saviez-vous déjà – que le nom « équipe » puise ses origines et sa signification actuelle du terme « équipage ». Si on s’amuse à remonter encore un peu le courant, on retrouve en amont le mot « équiper », d’abord sous la forme « eschiper » (vers 1120!), découlant lui-même de l’anglo-saxon « scipian », qui veut dire « naviguer ».

Je postule que vous ne serez pas surpris parce qu’il faut être au moins un peu fou – ou, plus gentiment, téméraire, hardi – pour se lancer seul dans une traversée de la mer. Les grandes étendues d’eau ne sont pas notre habitat naturel et s’y lancer relève toujours d’une certaine braverie, même si les bateaux que nous construisons aujourd’hui peuvent nous laisser l’impression d’une certaine invincibilité.

Après avoir pris le large, l’eau se referme sur nous à perte de vue et le bateau n’est plus qu’une île mouvante, vulnérable et esseulée. Seules les étoiles peuvent en témoigner : des vagues se dessinent au loin, le vent prépare ses tempêtes et quelques gros poissons surveillent le dessous de la coque avec l’espoir, peut-être, d’un festin à venir. Parce que les éléments ne nous sont pas favorables, que les obstacles seront nombreux et que notre moral sera mis à l’épreuve, il vaut mieux être une équipe.

Je ne veux pas ambitionner sur le champ lexical, mais force est d’admettre que nous voilà confrontés à une bien étrange traversée, isolés entre nos quatre murs, le cœur en flottaison sur une confiance fragile, serrant les dents en attendant que la tempête déferle. L’horizon se résume au balcon de mon voisin, à l’amour inconditionnel de mon petit bout d’homme et à la promesse que nous accosterons un jour – le plus vite possible, mais quand? – sur les rives d’un nouveau monde. Parce que la fin d’un monde, croit-on, n’est que le début d’un autre. Alors, peut-être, pourrons-nous en profiter pour le rendre meilleur.

Pour ça, il nous faut une équipe. On l’oublie parfois, mais on peut se réclamer de plusieurs équipes. Inutile de chercher à nous mettre dans des boîtes, de prêter allégeance à un seul parti, mouvement religieux ou équipe sportive. On peut être citoyen de la terre, résident de sa rue, travailleur d’une communauté professionnelle, ailier gauche dans une ligue de garage, joueur de triangle dans un orchestre, membre d’une famille, boute-en-train d’un groupe d’amis, et que ne puis-je pas encore inventer? Il n’y a pas de règles. On peut naviguer sur les réseaux sociaux, choisir une page d’intérêt, et cliquer : joindre le groupe. C’est tout.

Dans l’exercice de conscientisation de la population, qui s’est intensifié depuis déjà une semaine, l’une des formules mises de l’avant est une équation qui relève d’un paradoxe : distanciation sociale = solidarité. Il fallait une image choc. Ça a fonctionné, tant mieux. Mais entre nous, on pourrait se proposer une équation qui corresponde davantage à nos besoins : distanciation physique = solidarité sociale. Ce n’est pas le temps de défaire les liens qui nous unissent, au contraire. À moins d’être un peu fou – ou, plus gentiment, téméraire, hardi –, il n’y a qu’une seule façon d’affronter ce qui nous attend : ensemble.

Voilà pourquoi je vous donne rendez-vous ici, demain.

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