
Crédit photo: Michel Hébert
Procréation sans assistance
Ma blonde a accouché à l’hôpital général juif (HGJ). Le 2 mai, ça fera un an. C’est rien, un an, mais dans la vie d’un nouveau parent, c’est 365 jours – et surtout, ne l’oublions pas, 365 nuits – de nouveaux apprentissages, d’adaptation, d’intégration de nouveaux réflexes, de nouveaux modes de vie, de questionnements, de réponses approximatives, de félicité et de découragements. Un an, ça me semble être si loin, à des lieues, quelque part dans une autre vie. Et pourtant, quand j’ai lu vendredi que l’HGJ interdirait aux parturientes d’être accompagnées, j’ai été ramené en-arrière. Soudain, le 2 mai 2019, c’était hier.
Ma blonde et moi avons eu la chance d’être suivi par une sage-femme, à la maison de naissance Côte-des-Neiges. Je crois qu’il n’existe pas meilleur suivi, mais comme je n’en ai connu aucun autre, je n’en ai aucune idée. Disons que l’approche humaniste, professionnelle et sans condescendance, centrée sur l’expérience et le partage, nous a comblés. En plus du suivi, nous avons lu des livres – surtout ma blonde, honnêtement –, visionné des documentaires et profité du partage de récits d’accouchement d’amies. Je ne veux pas parler pour ma blonde. Pour ma part, à défaut de me sentir prêt, je dirais que je me sentais outillé.
Mais vous savez ce que c’est. On se prépare une ligne de Maginot de confiance et les événements se faufilent par toutes les craques de notre défense. Pour un littéraire, le réel est souvent bien maudit. Évidemment, tous les possibles que nous avions anticipés – ou, devrais-je dire avec le recul : espérés – ne se sont pas concrétisés.
Je ne vous raconterai pas l’accouchement, pas plus que je ne blâmerai le personnel médical en place. C’est un fait connu en maternité : chaque année, il y a une recrudescence d’accouchements en avril, mai et juin – précisément les mois qui nous préoccupent à l’heure actuelle. L’hôpital a coupé dans ses effectifs ces dernières années et le personnel est débordé. Pendant les six heures de contraction, nous étions seuls dans la chambre, visités de temps à autre par une infirmière attentionnée, mais à la course. La surveillance était inexistante : on s’est fait voler notre sac de bouffe de résistance.
Des complications à l’accouchement ont entraîné une césarienne d’urgence et notre fils s’est retrouvé aux soins intensifs, sans que ma blonde n’ait pu le voir. J’ai pu suivre l’équipe et, une fois que son état a été stabilisé, j’ai pu revenir auprès d’elle pour la rassurer, elle qui attendait, mortifiée, dans l’inconnu. Plus tard, c’est moi qui ai pu voir notre fils en premier, le prendre dans mes bras. Il a fallu insister beaucoup pour que ma blonde, neuf heures après l’accouchement, puisse enfin aller le retrouver.
Les jours suivants, de l’aile post-partum où nous nous trouvions, c’est encore moi qui allais porter le colostrum, si précieux, jusqu’à l’aile de soins intensifs néonatals, à l’autre extrémité de l’hôpital, où notre garçon se remettait de débuts périlleux. Je ne prétends pas avoir été indispensable. Mon garçon serait né, ma blonde aurait survécu. Mais sont-ce là nos seules exigences? La désorganisation du corps médical était telle que, sans l’entêtement de ma blonde – en réalité, de la clairvoyance -, son allaitement aurait pu être rendu impossible.
Je me répète : je ne blâme pas ces femmes qui, même si débordées, nous soutenaient et soignaient ma blonde et mon fils. Reste que nous y étions, dans ces moments de grands bouleversements, souvent laissés à nous-mêmes. Dans ces circonstances, même outillés, il était difficile de prendre des décisions avec sang-froid. D’autant que l’HGJ a l’une des maternités les plus interventionnistes au Québec, des interventions pas toujours jugées nécessaires.
L’accouchement, aussi beau et précieux soit-il, est un moment traumatisant. Son déroulement a des conséquences importantes sur la santé de la mère et celle de l’enfant et, même si nous sommes redevables du corps médical pour mille et une raisons, le soutien psychologique et même physiologique – par l’application de la méthode Bonapace, notamment – est fondamental. Pour accoucher, il faut se sentir en sécurité et confortable, comme si on était à l’abri. Comment faire naître un tel sentiment sans la présence d’un être aimé, dans une chambre stérile, froide, avec des capteurs et des fils qui limitent les mouvements?
Priver le ou la partenaire de sa présence est scandaleux. Je ne peux physiquement être enceinte. Je ne peux pas accoucher. Ce n’est pas une partie de plaisir, je sais bien, mais c’est une expérience de vie que je ne pourrai pas connaître. Tout ce qui est en mon pouvoir, c’est d’être là. Être là. Soutenir ma blonde. Lui donner tout ce que je peux. Et accueillir mon enfant dans le monde. Peut-on vraiment priver quelqu’un.e de ce droit? La lettre signée aujourd’hui dans Le Devoir par des professeur.es de Droit suggère que non.
Les femmes peuvent accoucher seules. L’histoire, spectaculaire et étonnante, l’a démontrée, mais je ne pensais pas que nous étions prêt.es à faire ce bond en arrière. Je comprends la situation actuelle et les mesures exceptionnelles qui doivent en découler. On a défendu cette interdiction en arguant que certain.es partenaires avaient refusé de suivre les procédures en place. C’étaient des cas exceptionnels. J’admets que le personnel médical est particulièrement exposé, mais est-ce que la seule façon de les protéger est d’ériger l’exception en règle absolue?
Je reconnais que nous sommes en crise. Des gens meurent. Mais la vie continue, aussi. Des enfants naissent. Des parents se proposent d’assurer la relève. Surtout, des femmes accouchent, aujourd’hui, animées par cette force inouïe qui leur permet d’engendrer la vie. Ne pourrions-nous pas les aider?