
Crédit photo: Michel Hébert
Bruit blanc
Vendredi dernier, 3 avril, devait être une journée de mobilisation pour sensibiliser la population et les administrateurs d’État aux crises causées par les changements climatiques et l’effondrement de la biodiversité. Vous savez, ces crises que les scientifiques, dans une quasi-unanimité, tentaient de nous éviter en nous alertant depuis des décennies? Ce devait être l’occasion d’une grande manifestation, dans l’esprit de celle qui avait animée le monde entier le 27 septembre dernier. Évidemment, dans le contexte actuel, ce plan est tombé à l’eau.
Plutôt, rallié.es par un événement Facebook qui n’avait créé qu’un bien maigre engouement, nous nous sommes retrouvé.es, à 19h, armé.es de casseroles. Nos voisin.es de chansons du dimanche y étaient aussi, et ainsi, chacun.e sur notre balcon donnant sur une Christophe-Colomb tranquille, nous tapochions vigoureusement sur nos casseroles, au grand dam de nos cuillères de bois, désormais inutilisables.
L’événement n’avait pas été médiatisé et, parce que nous n’avions aucune banderole pour sensibiliser les gens à notre cause, la force de notre message était relative. Au bout d’un moment, d’une voiture arrêtée au feu rouge est sortie une femme, enthousiaste, qui nous a crié, en nous envoyant la main :
– Merci! J’arrive de travailler! Ça me touche vraiment. Merci!
Pour tout dire, j’étais vraiment heureux qu’elle se soit sentie interpelée par nos casseroles. J’ai bien envie de dire merci à tous ces gens qui, pendant qu’on se fait dire de rester sur notre divan, travaillent des heures impossibles, au prix de leur vie familiale et de leur santé. Notre message était une bouteille perdue en mer, mais, par inadvertance, nous avions redonné des forces à une femme qui, peut-être, en avait grand besoin. Même si, soudain, notre objectif prenait le large, j’étais content.
Nous n’étions que sept – en comptant mon garçon, un peu interdit sous ses coquilles anti-bruit –, et pourtant, le tintamarre de nos casseroles était spectaculaire. Le son strident et saccadé se répercutait sur les bâtiments qui nous faisaient face, et le bruit – il y a des limites à enjoliver la vie, ce n’était ni musique ni rythmes endiablés – se mêlait à son propre écho en un tourbillon hypnotisant, qui me donnait l’impression de créer une mauvaise imitation de Philip Glass.
Nous avons aperçu quelques acolytes qui, au loin, se prêtaient aussi au jeu des casseroles. Plus enthousiastes, ils arpentaient la rue en dansant, scrutant les fenêtres des maisons non pas à la recherche d’arc-en-ciel, mais bien de gens, avec l’espoir de les convaincre de se joindre à leur danse. En vain. Eux aussi sans banderole, qui sait comment leur tapage était interprété? Au demeurant, ils n’étaient peut-être que des chamans qui, grâce à des incantations bienfaisantes, cherchaient à restaurer la santé de la population.
Au début du confinement, plusieurs mèmes internet ont circulés, suggérant que les responsables de la mobilisation liée aux changements climatiques devraient s’inspirer du travail de sensibilisation à la COVID-19.
J’ai ri, bien sûr. Il me semble bien que c’était ironique, d’ailleurs. Reste que c’est confrontant : pourquoi a-t-on entendu la menace de la COVID-19, tandis qu’on refuse d’admettre celle des changements climatiques? J’admets que la sensibilisation, la vulgarisation et la communication en général, en lien avec le coronavirus, ont été bien faite. Des graphiques faciles à comprendre – la fameuse courbe – et des termes évocateurs – la distanciation sociale –, entre autres réussites, nous ont aidé à comprendre ce qu’il fallait faire. Sans compter que les situations critiques de la Chine et de l’Italie ont marqué nos esprits.
Pourtant, les concepts clés liés aux changements climatiques nous sont aussi familiers. Nous savons ce que sont les émissions de gaz à effet de serre, nous pouvons mesurer l’impact de nos actions et comprenons ce qu’il faut faire pour éviter la catastrophe. Malgré tout, nous retardons sans cesse l’application de solutions pérennes et efficaces. Pourquoi?
Il serait difficile de ne pas blâmer le leadership de nos gouvernements. Soudainement mobilisé, notre gouvernement a décrété une décroissance spectaculaire – bien plus que le client en demande pour ce qui est des changements climatiques. Il a invité dans sa garde rapprochée un scientifique – quelques mois plus tôt, il refusait d’entendre les rapports concernant le troisième lien, pour ne citer qu’un exemple. Rassembleur, alarmé mais rassurant, il accompagne la population dans ce moment de transition spectaculaire avec calme et confiance, clamant qu’à l’impossible, nul n’est tenu. Résultat? La population emboîte le pas et, aujourd’hui, on nous annonce la fameuse lumière du bout.
On pourrait parler des Bolsonaro, Trump et Duterte de ce monde, mais la vérité est que la gouvernance est sensiblement la même partout : responsable et prête à faire ce qu’il faut. Ont-ils vraiment besoin que nous fassions des banderoles pour prendre leurs responsabilités? J’aime bien l’idée que nos casseroles, dans un même élan, encouragent les gens de la première ligne et appellent à prendre nos responsabilités vis-à-vis de la planète. Après tout, ne pouvons-nous pas mener deux combats de front, surtout quand ils semblent aussi étroitement liés?
En attendant d’être au bout du tunnel, je vous donne rendez-vous ici, demain.