La sève monte mais le printemps prend pas

Kheops

Cette fin de semaine, je suis monté dans le Nord, me rappelant à cette tautologie que j’utilise depuis ma tendre enfance : Monter dans le Nord. Je suis venu espérer des choses simples, attendre de la nature qu’elle fasse ses petits miracles. Le soleil s’est levé, les oiseaux ont chanté, la cafetière a sifflé. Le monde semblait enfin bien en place. Je me suis planté sur le balcon, et j’ai espéré que le lac cale. Pour le show. Simplement.

Ainsi, je n’étais pas en ville cette fin de semaine. Je n’étais pas dans les rues de la discorde, sur le bitume taché de nos disputes, sali de nos récentes injustices. Je suis parti de la ville, de cette ville de mes amitiés, de mon amour de ville devenue le théâtre des horreurs. Le théâtre du pouvoir. Vil.

Si je suis allé me mettre à l’abri dans le Nord, c’est aussi pour récolter la sève des érables. Quinze en tout que mon ami a entaillé, pour le plaisir. Celui d’avoir son sirop, mais aussi celui de garder en vie nos traditions. Une fois de temps en temps, il réunit les amis autour du poêle à bois, et conte des histoires pendant que l’eau bout. Parce que le rêve fait du bien et que sourire apaise les maux du quotidien.

Mais en fin de semaine, je suis de garde. La vigie de la tradition, seul avec les arbres. La sève des quinze érables coule depuis deux jours, et je fais la patrouille, d’un arbre à l’autre. Ici, mes casseroles ne revendiquent rien et se contentent plutôt de récolter la sève. Je patauge dans une terre qui s’éveille, faite de boue et de neige fondante. Je profite de la glisse pour danser un twist un peu maladroit, où mon plaisir l’emporte sur la menace de renverser le contenu de mes marmites.

Après ma première tournée, j’ai laissé reposer la sève un temps, ressortant me balader dehors. J’ai marché au milieu de la route, le carré rouge sur le cœur. J’ai déambulé au hasard, sans donner mon itinéraire à qui que ce soit. Ici, le Québec est une grande volière. Les oiseaux rythment mon avancée, fanfare de manifestation. Le vent évite le trafic en se faufilant à travers les arbres. Je n’ai subi aucune répression, mais personne n’a su qu’au fond de moi-même, je manifestais à tue-tête.

J’ai marché longtemps sans croiser personne. À quelques reprises, j’ai résisté à l’envie de tweeter ma position : Au coin de ch. des Cèdres et ch. des Pionniers, Gore (Qc) #manifencours. J’ai commencé à croire qu’un soulèvement était possible quand un chat est venu se joindre à ma marche. Il miaulait à tout rompre : c’était un excellent début. Je n’ai bloqué aucune voiture, je n’ai défié aucun immeuble, aucune autorité. Seul le soleil me tapait de toutes ses forces sur le coco. À quelques pas de la maison, j’ai enfin croisé une femme. Le chat, lui, n’était plus avec moi. J’ai pensé scander quelques slogans, mais elle m’a souri. On s’est salué, et je suis rentré.

On peut vivre en oubliant le reste du monde. En oubliant la misère, ses malheurs. On peut puncher in au boulot, regagner ses pénates le soir. Lire le journal le matin, écouter les nouvelles le soir, et s’en laver les mains. On peut vivre en oubliant le pouvoir et ses dérives. On peut vivre tranquille. Jusqu’à ce qu’on ne puisse plus. Et en attendant, quoi?

En attendant, la sève d’érable bout sur le poêle à bois. Le fumet de vapeur sucre l’air. Mes bas mouillés posés près du feu fument eux aussi. J’alimente le feu, seul, et au gré de la sève qui s’évapore, il faut me rendre à l’évidence. Il faut beaucoup, beaucoup plus de sève pour faire du sirop.

Kheops (2)

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Une réflexion sur “La sève monte mais le printemps prend pas

  1. Ah ! Sans le savoir tu as entaillé un carré d’érables rouges (appelés aussi « plaines » dans le langage de ceux qui tutoient les moteurs à 2 temps) que j’ai entaillé manquant d’érables à sucre. Pour ces érables, il faut encore plus de sèves pour faire du sirop… et puis le printemps n’est pas bon : la chaleur est arrivée d’un coup, comme une injonction à couler. Ç’a été le débordement deux jours et déjà aujourd’hui certains érables étaient taris. Manifestement, c’est pas facile d’avoir un beau printemps érable… ça ne dépend pas toujours de nous.

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