Mad rush

Piano

J’allais écrire mon roman, mais un rhume me serrait le cerveau et me gardait à distance de mon corps. Quelque chose ne passait pas. Sauf qu’il y a toujours un moyen. Enfin, presque. Ce jour-là, je me suis dit que Philip Glass saurait me guider. J’ai flâné un brin sur les internets, et je suis tombé sur Mad rush, pièce interprétée par Glass lui-même, à Montréal, le 7 mars dernier.

Je ne connais pas M. Glass. Je veux dire, je n’ai aucune idée de quel être humain il est. Mais son œuvre, je l’adore. Mad rush est une pièce magnifique. Il suffit que Glass passe sa main droite au-dessus de sa main gauche, au début du thème principal, qu’il aille chercher la deuxième octave et qu’il pose un , grave, sur la pluie délicate et troublante de sa musique, et je suis gagné. Chaque fois que cette note tombe, mon cœur bat.

La pièce dure 15 minutes. Philipp Glass est au piano et derrière lui, l’orchestre symphonique de Montréal. Ils sont quelques dizaines de musiciennes et musiciens, concentrés, émus peut-être, qui regardent Glass abattre sa mélancolie sur le piano. Ils ne jouent pas. Ils attendent leur moment. Glass joue et captive la foule, les musiciens. C’est peut-être un être humain abject – je le dis juste au cas, ne partons pas en peur –, mais sur scène, Philip Glass n’est rien d’autre qu’un artiste. C’est un grand pianiste, un fichu compositeur. Les musiciens attendent et on sent l’inspiration, le leadership que l’homme leur insuffle. Glass est là qui joue, juste là!

Les musiciens de l’orchestre sont tous très doués. Choisis parmi un grand nombre d’aspirants, ils ont fait nombre de sacrifices pour vivre de leur musique, pour être sur scène ce jour-là. Et ils attendent, inspirés par le souffle de Glass. Eux aussi, ce sont peut-être de piètres humains. Mais sur scène, ce qu’ils font est de l’orfèvrerie, ça relève d’une minutie du geste, d’une dextérité du corps que peu atteignent dans leur vie. Sur scène ils peuvent faire de grandes choses, mais ils sont là, leur instrument serré dans leurs doigts, le cœur porté par la charge de la musique, le regard fixé sur le pianiste. Philip Glass joue Mad rush, droit comme une barre sur son banc, les doigts lascifs sur l’ivoire, impeccable et entier.

Quelques fois, les boutons de sa manche droite chatouillent les poils de son bras gauche, son index vient se poser sur le de la deuxième octave. Et mon cœur bat.

La pièce est vieille de plus d’une dizaine de minutes déjà. Les musiciens n’ont toujours pas joué, ils sont là derrière qui attendent. Bientôt, ce sera leur tour de briller. Avec eux la pièce sera plus grande, plus forte, plus belle encore. Mais ils ne jouent pas. Pas encore, crois-je. Quatorzième minute, le thème principal revient, les notes s’envolent et les doigts de Glass viennent mourir sur la première touche du clavier. La pièce est terminée. Les musiciens, derrière, n’ont pas joué.

***

La semaine dernière, le gouvernement Couillard a annoncé l’abolition des forums jeunesse. Celui qui, à grand renfort de rhétorique électoraliste, met de l’avant l’importance de la jeunesse, sa fougue et son désir de participer à l’avenir, vient de saboter une terre fertile en dialogues depuis quinze ans. Car la jeunesse n’y monologuait pas, elle échangeait, créant un dialogue avec le reste de la population, pour faire grandir le Québec. Mais c’est fini. À quoi bon la maturité citoyenne, le développement de projets contre la primauté d’une économie de croissance? Cette nouvelle mesure Libérale nous rappelle qu’à leurs yeux, jeune ou moins jeune, un citoyen est une bête de somme, une marchandise.

Il y a beaucoup de gens dans ce pays qui se cherchent. Qui n’ont pas trouvé le moyen de s’ancrer ici en croyant fermement à la pertinence de leurs actions. Ils étudient, changent de boulot, s’impliquent ici et là. Mais ils ne trouvent pas. Ils n’ont pas su, encore, faire le pont entre ce qu’ils sont et ce qu’ils peuvent faire pour participer à ce grand projet de société. Ça n’est pas une situation facile, et de moins en moins, on écoute ces gens. On coupe dans des programmes qui leur donneraient le temps de se trouver. D’être à l’aise dans ce système, de se sentir reconnus.

Et il y a d’autres gens qui sont fermement engagés dans le monde. Ils ont développé une compétence qui leur donne une confiance en eux pour agir sur ce monde dans lequel on vit. Cette confiance vacille parfois, certes, mais leur compétence est la réponse à leurs maux et c’est vers elle qu’ils se tournent pour exister. Pour participer au monde.

Philippe Couillard n’a de Glass que le prénom. Il joue lui aussi un Mad rush, mais sans la délicatesse, sans l’écoute, sans le doigté. À défaut de nous représenter, ce pourrait être un grand leader. Mais il bute sur tout. Lui et son armée de ministres chevauchent notre Québec en nous oubliant derrière eux. La jeunesse est là, une population entière est là, prête à jouer, mais le solo de Couillard ne finit plus. Quelqu’un voudrait-il aller taper sur son épaule et l’avertir que son tour est terminé? Je dormirais mieux la nuit.

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Une réflexion sur “Mad rush

  1. Parallèle, côté jardin :
    Une pièce musicale ou une pièce de théâtre. On peut la vivre à 500 milles à l’heures sans entres-actes pour la finir à bout de souffle d’avoir tout donner dans les premiers actes de notre vie. Le spectateur ainsi part avec la nostalgie de ces premiers actes et garde en souvenir que la fin mal inachevée, d’un travail si colossal de l’acteur. Triste, mais je me souviens…et heureuse du dernier mot et de la dernière note!
    Comme quelqu’un que tu connais très bien dirait : « merci infiniment, Yannick! » Espérons que la jeunesse continuera de s’exprimer tel que toi!

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