Mon ami est arrivé tout souriant chez nous l’autre jour. Il faisait gris dehors, froid aussi, il avait plu les quatre jours précédents, mais lui, il souriait. Un sourire contagieux. On oublie trop souvent combien c’est facile de faire sourire les gens. Il suffit de leur insuffler un élan joyeux, le regard planté dans le leur. Mon ami souriait et j’ai été pris au jeu, heureux sans savoir pourquoi. Quelques secondes à peine et nous étions un miroir de bonheur. Je lui ai demandé ce qu’il traînait avec lui pour être si heureux, et alors il m’a raconté.
Quatre jours de pluie, disais-je, ajoutant ainsi un déluge d’eau à la fonte des neiges. Les coins de rue sont inondés et les flaques d’eau sont des étangs dans les ruelles. Son fils vient de découvrir le bonheur des bottes de pluie. De retour de la garderie, son jeu préféré est de parcourir en va-et-vient continus une flaque d’eau, s’amusant des vagues que ses pieds délicats génèrent. Son plaisir est inlassable. Mon ami me le montre, sur une petite vidéo qu’il n’a pu s’empêcher de prendre avec son téléphone. Après quelques allers-retours dans une même flaque, il s’arrête, offrant un sourire immense à son père. Il retrousse sa frimousse et regarde loin devant, conquérant des bonheurs simples. Il s’exclame de joie. Un cri qui rivalise avec le chant des oiseaux. Il a aperçu une autre flaque au loin, s’emballe et court vers elle, et les allers-retours reprennent.
Tant de choses ont été dites sur les enfants. Quand on se propose un monde meilleur, on pense à nous bien sûr, mais plus encore, c’est à eux qu’on pense. On songe à cette petite main qui a serré notre pouce, à cette langue bégayée qui se construit dans leur petite bouche, à leur regard où s’entasse un flot d’émotions, pour la première fois. Leur regard qui découvre le monde.
Faire des enfants, c’était le plus beau des chemins pour refaire le monde, pour mes amis. Un par un, les enfants, et un jour à la fois, le monde. Et pour moi, ils sont une nourriture d’espoir, des gardiens de beauté. À travers leurs enfants, ils prolongent leur force au monde. Je le vois, dans chacun de leur geste, dans leur regard, leurs mots et leurs attentions : ils introduisent un être à la vie. C’est par eux que leurs filles, leurs fils découvrent les merveilles et les simplicités de la vie, les frustrations et les joies du vivre-ensemble, c’est avec leur aide qu’ils construisent leur identité et apprennent le respect des autres. Et à chaque instant, malgré quelques heurts et crises, ils vont ensemble, sur le chemin de l’amour. Car ils aiment, et c’est la chose la plus importante que ressentent et observent ces enfants : l’amour.
Mes amis sourient beaucoup, en général, et depuis quelques années, plusieurs d’entre eux ont dans leur regard un mélange de fatigue et de bonheur qu’on pourrait nommer béatitude. Y’a que les nuits sont plus courtes. On veille moins qu’avant, c’est vrai, et pourtant les nuits s’envolent toujours, dans la douleur de la petite qui fait ses dents, du petit qui a soif. Ce n’est pas toujours facile de soutenir le rythme d’une vie de parent. On le dit et le redit, mais ce n’est jamais assez, il me semble. Travailleur, citoyen, étudiant, coéquipier, mari, amant, père, ami, frère, fils : toutes nos occupations ne cessent pas dès lors qu’on devient parent. C’est essoufflant, certes, mais chaque fois que je demande à mon ami comment va la vie, il pense à son fils qui court dans l’eau, et il sourit.