Journal de quarantaine – Jour #7

Journal de quarantaine #7

Crédit photo: Marie-Pier Desharnais

Le XXIe siècle des Lumières

On venait tout juste de passer le millénaire, sans même bugger. Mon acné semblait résolument derrière moi et j’apprenais à la dure les responsabilités qui venaient avec la liberté du monde adulte, c’est-à-dire se lever tôt. La nuit me semblait avoir beaucoup plus à offrir que ces cours qui débutaient à 8h le matin. C’était parfois vrai.

Mon grand ami, un humaniste comme il s’en fait trop peu, rassembleur, aimant et curieux, organisait, un vendredi par mois, dans le sous-sol de la maison de sa mère, une soirée qu’il avait nommée « Pour le plaisir d’apprendre ». L’idée était de rassembler des amiEs de divers horizons, parmi lesquelLEs des volontaires avaient préparé des courts exposés (entre 10 et 30 minutes) sur un sujet de leur choix.

Les exposés étaient très variés, et certains m’ont marqué plus que d’autres, parce que vingt ans plus tard, je m’en souviens toujours. En vrac : les propriétés agglutinantes du geiko, émulées dans le matériel plein-air, analyse d’une bataille de la seconde guerre mondiale, importance symbolique des chiffres dans le catholicisme (le 3) vs hindouisme (le 6 ou le 7, j’ai oublié). Deux femmes nous avaient introduit au langage épicène, et je me souviens combien, à l’époque, l’idée m’avait semblée extraterrestre. Une autre nous avait invités à une séance de yoga, une discipline alors très peu connue.

Était-ce geek, bourgeois ou simplement beau? Probablement un peu de tout ça. Pour moi, qui n’assistais pas avec régularité à mes cours, c’était une occasion de faire du rattrapage. Qui plus est, ces événements avaient le net avantage de ne débuter qu’en soirée, au contraire des horaires insensés du cégep, et on pouvait y assister tout en dégustant une broue. La seule intervention que j’ai mémoire d’avoir proposée – si vous tenez à le savoir – était un éloge au calembour.

Je ne vous raconte pas tout ça par nostalgie – peut-être un peu, quand même –, mais bien parce que le confinement auquel nous devons nous astreindre a fait naître des initiatives similaires. Il y a une semaine, une amie a créé un groupe Facebook où se rassemble quelques groupes d’amiEs. L’initiative permet des partages plus intimes, notamment, mais aussi un laisser-aller qui diffère de l’utilisation habituelle du média social, davantage une vitrine qu’une réelle incarnation sociale. On partage des élans artistiques, des articles d’intérêt, et surtout beaucoup de niaiseries, nées des grimaces de nos enfants ou des vidéos en ligne. Parce que rire fait du bien. À défaut de la chaleur, de la spontanéité et de l’amour de nos soirées ensemble, ce groupe continue d’animer notre amitié.

Ainsi, chaque matin, ma blonde s’installe dans le salon, repoussant table, divan, balles et livres de fiston, puis, bien campée devant son ordinateur, elle s’émoustille. À l’écran, une amie, danseuse contemporaine, prodigue des exercices d’étirement, de musculation et d’aérobie, à tous nos amiEs qui, ce matin-là, sont disponibles. Hier, un autre ami, chef remarquable, nous a offert une classe de cuisine, nous refilant au passage le secret de l’une de ses plus célèbres recettes. Ainsi, par-delà les murs qui nous enferment, se perpétue le plaisir d’être ensemble.

Je ne veux pas performer mon confinement. Vous en faire croire. Surtout, je connais mes privilèges. Celui de me sentir au chaud, malgré tout, dans mon petit nid familial, celui d’avoir pu participer à ces soirées, entouré de gens lumineux, en marge de mon cégep, et enfin, celui de pouvoir compter sur des amiEs, présentEs par le truchement de la magie renouvelée des médias sociaux. Tous les jours, dans l’ordinaire comme dans l’extraordinaire, c’est douché par la lumière de ces privilèges que je vous écris. Et en ce jour dominical, j’avais envie d’enfiler mes vieilles salopettes de judéo-chrétien et, bien humblement, dire merci.

En espérant que mes mots vous trouvent bien. Rendez-vous ici, demain.

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2 réflexions sur “Journal de quarantaine – Jour #7

  1. Te lire fait grand bien! Tu nous a rappelé Jean Dion, il y a une petite éternité, deux jours peut-être. Je suis davantage de la génération de ton grand-père. Moi, je m’ennuie de mon
    « gourou »littéraire , Pierre Foglia.

    Je me demande parfois comment il nous aurait parlé du coronavirus, et certainement des cons qui circulent… Certains le qualifiaient de fumiste. Il attendait que l’opinion se soit propagée. Quand il émettait la sienne, contraire à la vaste majorité, je me disais, qu’elle perspicacité .

    Je manque de ses balades à vélo où il nous racontait le beau. Mais, au moins, je peux te lire dans la beauté de tes textes!

    Merci!

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