
Crédit photo: Marie-Pier Desharnais
Autres temps
Le temps semble s’être arrêté. Une amie, dans toute sa sagesse, dit se sentir coincée dans un perpétuel mardi. Les relents heureux de la fin de semaine passée se sont estompés et la douceur de jours de congé à venir parait hors de portée. Nous voici donc au cœur de ce treizième mardi. La chronologie a en effet été brisée, et j’ai l’impression qu’un fossé nous sépare de ce que nous appelons parfois, avec grandiloquence, « l’avant ».
Depuis toujours, je cherche à arrêter le temps. Non pas pour ne pas vieillir, mais bien pour saisir le tourbillon de ce monde dans lequel on vit, et tenter de m’y recentrer. Pour comprendre le rôle que j’ai envie d’y jouer, mesurer le poids de mes décisions et trouver la voie que je veux emprunter : j’ai besoin de m’arrêter. Longtemps, à vrai dire la majeure partie de ma vie, la nuit m’a semblé ce refuge où le temps, enfin, égarait la révolution des aiguilles et me laissait à moi-même. Bien sûr, le matin se chargeait de me rappeler ma méprise, mais c’était sans regret : dans le silence, j’avais retrouvé la paix.
En cela, ce moment de réclusion forcée semble bel et bien une occasion pour recentrer nos existences. Un silence a enterré le bruit. Jour après jour, nous nous défaisons de nos vieilles habitudes et arpentons de nouveaux horizons, nous définissant dans de nouveaux paramètres. Soudainement, ce changement qu’il nous semblait impossible à concrétiser s’est opéré. Bien sûr, tout ça induit une grande précarité. Le changement, par définition, nous mène sur des chemins inédits. Reste que ces jours étonnants, comme en-dehors du monde, nous permettent de nous ouvrir, de devenir perméable à la vie qui nous entoure et, peut-être, d’offrir une nouvelle définition de nous-même.
C’est une occasion d’aller vers le mieux. Non pas qu’il faille tout mettre à terre. Dans notre besace, il y a beaucoup de beau. Et d’ailleurs, aujourd’hui, j’ai envie de nous célébrer. Pour ce faire, quoi de mieux que quelques vers? On reste dans le thème d’hier, et je vous invite donc à venir faire la file avec moi. Dans l’élan, je vous donne rendez-vous ici, demain.
Seul au monde (avec vous)
.
il y en a qui font la file pour être là
de Wuhan à Milan
de Madrid à Montréal
ils font la file depuis des années
et ils reviennent
pour être là
.
nous aussi on a fait la file
shiné nos dents
cogné à la porte
une autre fois
et encore
pour être là
nous aussi
.
il y a eu des files comme des lunes
et combien de levers de soleil
le cœur entêté de fête
les bras ouverts contre le temps
les cris en broussaille dans la nuit
les rires
.
nos rires
.
il y en a qui font la file pour être là
dans ce cercle
ce clan qui chante plus fort que les oiseaux
qui brille plus fort que le jour
.
nous le savons aujourd’hui
au bout de cette file infinie comme chaque nuit
il y a des mains tendues
une promesse
et une inextinguible soif
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