
Crédit photo: Jupp Müller
Dasein ou le secret de l’ambiance
Au début de ma vingtaine, j’habitais avec quatre ami.es, dans une maison que nous avions baptisée « Manoir », par réflexe de grandiloquence bien plus que par volonté d’appartenir à l’aristocratie. Sis dans la cour de la maison des propriétaires, le Manoir avait d’abord été un studio – successivement pour la photographie et la musique – avant d’être reconverti, dans les années 80, en maison destinée à loger les enfants des propriétaires, désormais jeunes adultes, qui réquisitionnaient leur espace.
Ce n’était pas beau, étrangement rafistolé même, mais que c’était grand! Si nous devons un jour sombrer dans la nostalgie et réinventer nos belles années, c’est sûrement à notre vie manoiriale que nous songerons. En plein cœur de la ville, c’était une plaque tournante de fêtes et de soirées entre ami.es, de débats d’idées et de soirées culturelles. Mais je m’arrête ici… la nostalgie me guette.
Parmi les débats qui nous animaient se trouvait celui, fort trivial, autour de l’importance de l’ambiance. Ainsi donc, chaque vendredi, deux camps nous divisaient. D’un côté, ceux qui prêchaient pour sortir au bar. De l’autre, ceux qui arguaient pour le statu quo, préférant demeurer au Manoir. Ces derniers faisaient valoir le confort de la maison, l’économie sur le prix de la bière et le choix de la musique. Les autres n’avaient qu’un seul argument, mais il était de poids : la recherche d’ambiance.
Pour être tout à fait honnête, il faudrait ajouter que notre pub préféré se trouvait à quelques coins de rue. « À cinq minutes à genoux », disions-nous avec plaisir. Il était donc difficile de ne pas céder à l’appel du bar. D’autant qu’à vingt ans, l’inconnu est une soif intarissable – je ne comprends toujours pas pourquoi elle s’amenuise en vieillissant –, et la satisfaction d’une soirée se traduit généralement par des émotions fortes, la proximité de la chair et la multiplication des odeurs, comme autant de rencontres possibles. Sortir, c’est se donner une chance de vivre une aventure.
Le bonheur n’était pourtant pas moins spectaculaire à la maison, et plus souvent qu’on ne pourrait le croire, c’est au Manoir que nous avons étiré nos soirées. Cinq ami.es ensemble, avec chacun.e leur réseau de connaissances, ça ouvre aussi à plusieurs possibles. Il suffisait parfois de très peu pour que la soirée viraille et ne connaisse son dénouement que bien après la fermeture des bars. Des amitiés se construisaient, se cimentaient, des projets naissaient et, ensemble, nous avions l’impression de conquérir le temps et l’espace, de s’ancrer dans le cœur de l’expérience humaine.
Ainsi donc, dans ce débat autour de l’ambiance, nous faisions fausse route. La situation actuelle de confinement nous permet d’ailleurs de bien le comprendre. Le bar n’a pas davantage d’ambiance que la maison. Celle-ci a la sienne, propre, et ce que nous allions chercher au bar n’était qu’un changement d’air. Une autre ambiance.
Pourquoi ce préambule – Marcoux, à 500 mots, ce n’est plus un préambule, dites-vous? Nous voilà confiné.es depuis 19 jours. Nous connaissons désormais la musique de nos murs par cœur, quelle latte de bois du plancher craque et à quelle vitesse fermer la porte pour éviter son grincement. Nous avons fait le tour de nos appartements plusieurs fois et, il me semble, il est temps d’aller nous baigner dans une autre ambiance.
Ainsi, ce billet est en réalité une invitation. Demain soir, on sort. Sur mon bras, on s’en va au bar. Ça vous dit? Rendez-vous ici, demain.