Journal de quarantaine – Jour #29

Journal de quarantaine #29

Crédit photo: Marie-Pier Desharnais

Portraits de crise

Chaque jour, lors de son point de presse, François Legault prend un moment pour remercier nos « anges gardiennes ». Il met ça au masculin, je sais, mais vous lirez ce texte et comprendrez alors pourquoi je l’emploierai plutôt au féminin – tout en vous promettant que ça n’invisibilisera pas les hommes. C’est bien, qu’il prenne le temps de les remercier. Je ne sais pas si ça excuse toutes ces années à leur offrir de piètres conditions de travail pour un salaire insuffisant – je sais bien que la CAQ n’est pas la seule coupable dans cette histoire –, mais les remercier, c’est un début.

Cela dit, qui remercie-t-on, au juste? Du personnel soignant, oui, d’accord. Mais qui? Certain.es journalistes ont pris le temps de parler à ces gens, nous permettant de prendre la mesure de leurs sacrifices et de comprendre l’ampleur de leur tâche. Or, il y a beaucoup de gens à remercier. Plusieurs cas de figure, des situations extraordinaires, des histoires de déchirures et de tendresse qui, je crois, méritent d’être racontés.

À partir de demain, donc, je vous partagerai mes Portraits de crise. Ce sera l’occasion de ne plus simplement placer les anges gardiennes sous une grande auréole collective, une abstraction de bonté, mais au contraire de singulariser leur vécu. Il y a là des récits étonnants qui, en place de chiffres et de prescriptions sanitaires, viendront humaniser une actualité qui s’incarne dans le quotidien.

Faire tout ça prend du temps, évidemment. De mon temps, mais aussi, de leur temps, raison pour laquelle je ne publierai que quelques portraits par semaine. Par ailleurs, je n’entends pas me restreindre aux anges gardiennes, recueillant aussi les récits de ceux et celles dont le quotidien a été particulièrement bouleversé. Demain, par exemple, je ferai le portrait d’une personne âgée, illustrant la vie de ces gens qui, souvent, souffrent d’isolement et de solitude, et qu’on condamne aujourd’hui à davantage d’isolement et de solitude.

Évidemment, quand on lit le portrait de quelqu’un.e, on s’attend à ce qu’une photo y soit rattachée. Mais voilà, j’avais envie de faire autrement. Parce que le confinement rend la prise de photos compliquée, mais surtout parce que j’avais envie de faire ça différemment, j’ai fait un appel à toustes pour illustrer mes textes. Quatre personnes ont levé la main, quatre femmes qui, bénévolement, prêteront leur talent à mes textes.

J’ai très hâte de vous présenter tout ça. Je vous donne donc rendez-vous ici, demain.

 

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Journal de quarantaine – Jour #28

Journal de quarantaine #28

Crédit photo: Manuel Holgado

Le portrait des arbres abattus

Je viens d’une famille de joueux de cartes. Quand j’étais petit, bien avant d’être assez grand pour jouer, je prenais plaisir à m’asseoir à la table des grands, coincé entre deux joueurs et m’autoproclamant responsable du pointage. En jouant, les grands papotaient de choses et d’autres, s’envoyaient des pointes que je ne comprenais pas, mais loin de m’ennuyer, tout en me goinfrant de chips, j’espionnais le jeu de quelqu’un pour tenter de saisir les rudiments du jeu.

En tant que responsable du pointage, j’avais devant moi une petite tablette de feuilles, reliées entre elles à l’un des embouts par une colle bon marché. Chaque feuille affichait le même en-tête : le logo de l’agence immobilière, une photo de l’agent.e, son nom et son numéro de téléphone. Parfois, celui de son télécopieur – à l’époque, ça en jetait, avoir un télécopieur. Je n’avais aucune idée de qui était cette personne, sinon « qu’elle vendait des maisons », et c’était immanquable, j’attifais l’agent.e d’une moustache, de généreux favoris ou d’une coupe de cheveux excentrique. Parfois, je faisais apparaître des cicatrices sur son front, sa joue, et révélais quelques dents cariés en les noircissant, pour autant que mon stylo bic ait encore de l’encre dans sa réserve. Je n’étais pas seul à avoir développé cette manie. Combien de ces photos d’agent.es ont été estropiées par un crayon rêveur, tenu par une personne qui, au téléphone ou en train de noter sa liste d’épicerie, pensait à autre chose?

Chez nous, ces feuillets d’agent.es semblaient ne jamais manquer. Bientôt, des aimants se sont ajoutés sur le réfrigérateur, avec les mêmes noms, les mêmes numéros, les mêmes agences et les mêmes faces. Des faces qui, cette fois, demeuraient intactes, le matériau de l’aimant ne permettant aucune retouche. Ces aimants maintenaient en place les listes d’épicerie ou les numéros de téléphone importants, listes et numéros que, évidemment, nous avions notés sur les feuillets publicitaires des agents immobiliers.

J’ai grandi en regardant ces faces d’inconnu.es. Sans les avoir jamais rencontrés en personne, je pouvais détailler par cœur les traits de leur visage. Or, la chose ne me laissait pas sans questionnements. Pourquoi, parmi tous ces gens qui vivaient sur Terre, avions-nous privilégié la reproduction de leur visage? Surtout, qu’avaient fait ces gens pour mériter qu’on abatte des arbres, qu’on prenne leur portrait et qu’on les conserve chez nous, comme des témoins privilégiés de notre intimité?

Quelques décennies se sont écoulées et, je dois l’admettre, la réponse tarde à venir. Vous savez, cette phrase qu’on nous répète ad nauseam quand on est petits : « Tu vas comprendre quand tu vas être grand. » C’était frustrant de se faire dire ça, mais il faut reconnaître que, la plupart du temps, ce n’était pas faux. Mais voilà : même en vieillissant, je n’ai jamais compris pourquoi les photos de ces agent.es ont pris tant de place dans mon enfance. Pire, ma perplexité s’est intensifiée, si bien qu’aujourd’hui, quand je marche sur ces rues tapissées de pancartes « à vendre », sur lesquelles des agent.es nous sourient à pleines dents, comme si ça nous ferait passer une meilleure journée, que la vie était plus belle de leur face et que leur sourire, vraiment, valait le coup d’œil; quand j’atteins les rues plus achalandées, les boulevards et les viaducs juchés d’immenses panneaux publicitaires avec, encore, les mêmes faces, je vous jure, j’ai beau chercher à comprendre, je suis dépassé. Qu’ont fait ces gens pour mériter d’occuper l’espace visuel de nos villes, sinon de l’argent?

Je ne suis pas fâché et, croyez-moi, je n’ai rien contre les agent.es immobilier. Leur but est de vendre des maisons et ils et elles prennent tous les moyens pour y parvenir. La question est plutôt : pourquoi laissons-nous notre paysage visuel être envahi par leur publicité?

À ce point-ci du texte, vous vous dites : mais pourquoi Marcoux se défoule-t-il sur les agent.es immobilier plutôt que sur les politicien.nes en campagne électorale, sur les burgers, les dents blanches, les slogans à deux cennes, les sushis qui tiennent avec du fixatif et les pots de yogourt lustrés qu’on nous sert partout, sur des panneaux publicitaires plus gros que nos appartements? Oui, tous ces exemples se valent aussi.

Quand on se dit qu’il y aura un « après » à tout ça. Quand on dit qu’on pourrait en profiter pour revoir nos priorités, que c’est là, peut-être, une occasion de mieux faire les choses, de se recentrer sur l’essentiel, il me semble qu’on pourrait commencer par ça : arrêter d’empoisonner nos existences avec toutes ces choses inutiles qu’on tente de nous vendre. Plutôt que d’imprimer des fantasmes de fortunés sur des panneaux, on pourrait garder nos arbres debout, non? Faire des toits verts. Planter des arbres sur les bords des autoroutes et, plutôt que d’engloutir nos esprits dans des jingles faisant l’éloge de cochonneries, laisser le vent danser les feuilles et créer une musique sans refrain.

Parce que, trop souvent, il me semble qu’on ne s’attarde pas aux personnes qui méritent notre intérêt, je vous présenterai demain un projet de portraits. Des portraits de gens qui incarnent une vie génératrice de sens. Je vous promets que je ne serai pas fâché. Et ainsi, je vous donne rendez-vous ici, demain.

Retailles partage

Journal de quarantaine – Jour #27

Journal de quarantaine #27

Crédit photo: Dave Wild

Congé parental

Aujourd’hui, je prends congé. J’ai quand même quelques trucs à vous livrer, en vrac.

Une pensée

J’aimerais offrir une pensée à ces gens qui font leur doctorat sur Blaise Pascal, et qui doivent accueillir ce congé pascal avec soulagement.

Une plateforme

Connaissez-vous Tënk? Née de la cuisse gauche de son alter-ego français, cette plateforme québécoise offre, en rotation, une sélection aussi diversifiée que stimulante de films documentaires. Du cinéma de chez nous – enfin! – et quelques bijoux d’ailleurs.

Une bonne nouvelle

Le 31 mars, je vous invitais à signer une pétition pour venir en aide, dans la mesure de nos moyens, à un adversaire de la Kzom dont la famille était coincée en Inde. Bonne nouvelle : le 8 avril dernier, Maxim Ouellet et sa famille ont regagné le Québec!

Une suggestion

Je n’écris rien aujourd’hui, mais si l’envie vous démange de lire quelque chose, voici le plus beau texte que j’ai lu ces derniers jours.

J’ai un nouveau projet en branle. J’ai très hâte de vous le présenter, raison pour laquelle je vous donne rendez-vous ici, demain.

Journal de quarantaine – Jour #26

Bateaux colorés

Crédit photo: Michel Hébert

Le voilier

Le vent soufflait

des petits emportements de neige

un peu de musique dans les branches

le cri des oiseaux impatients

l’attente de la fonte des glaces

patience d’avant la patience de la pêche

 

un voilier reposait sur la rive

inutile et chaviré

mât en travers de l’hiver

coque figée par le froid

voile repliée sur elle-même

 

le vent soufflait pourtant

sur les marées étouffées par la glace

sur les échouements des saisons perdues

contre la peur des naufrages

 

au loin les paquebots

immenses dans leur avancée

faisait oublier la sueur des matelots

l’écueil répété des fonds marins

 

mais à l’ombre d’un arbre dressé

oblique entre ciel et terre

le voilier gardait la pose

à l’abri de ses élans

sans ancre

sans voile

 

et pourtant

le vent soufflait.

—–

Rendez-vous ici, demain.

Journal de quarantaine – Jour #25

Journal de quarantaine #25

Le jukebox intérieur

La musique est un art distinct. Au contraire de ces films, livres, pièces de théâtre et spectacles de danse que nous ne verrons – lirons – qu’une seule fois ou, au plus, à quelques reprises, nous écoutons les pièces musicales à répétition. Vrai qu’on peut aussi se planter devant un tableau un nombre incalculable de fois, mais on ne transporte pas une œuvre visuelle avec soi, une restriction que n’impose pas la musique.

À force d’écouter les mêmes pièces, nous développons des affects précis liés à chacune d’elles. Des souvenirs, au fil du temps, leur sont associés, si bien qu’écouter un album est souvent un voyage spatio-temporel en raccourci. Un album peut évoquer plusieurs souvenirs qui, parfois, se superposent. Les écouteurs sur les oreilles, sur le coin d’une rue, au feu rouge, nous sommes simultanément autour de ce feu, au siècle dernier, en camping avec des amis, et dans la cuisine de notre enfance, baigné de soleil, attentif à une radio dont le signal instable grafigne la mélodie. À chaque nouvelle écoute, de nouveaux souvenirs se couchent sur le morceau, qui devient un palimpseste précieux.

Ce faisant, nous créons des liens privilégiés avec les artistes et leurs albums. Celui-ci appartient aux matinées de crêpes, celui-là est réservé aux sorties de jogging, d’autres aux moments de spleen, à l’éclosion du printemps, aux jours de pluie, aux longs trajets en voiture, au karaoké ou à la piste de danse. Il y a de bons albums qu’on n’écoute plus parce qu’ils nous renvoient à des jours difficiles et de mauvais albums qu’on écoute régulièrement pour les souvenirs gais qu’ils éveillent.

Parce que nous transportons la musique avec nous, elle est une sorte de partenaire. Une partenaire fidèle, à qui nous pouvons imposer nos états d’âme. Dans un moment de vague à l’âme, on se tourne vers le folk et le blues, on cadence le découpage de nos légumes sur un petit jazz, on fait sauter des crêpes sur du funk, on chante sur nos auteur.es-compositeur.trices-interprètes préféré.es, on se défoule sur du métal, on combat le trafic avec du rap, on déjeune sur du reggae et on lit sur du classique. En nous repose un jukebox prêt à s’activer, selon nos humeurs.

La musique a aussi cette force qui permet de nous extirper de nous-mêmes. Alors, plutôt que de refléter notre intériorité, nous choisirons le morceau qui nous sortira de notre torpeur. Il arrive qu’au bout de quelques secondes, parce que le choc est trop grand, on coupe le sifflet du volume. Mais d’autres fois, une mélodie nous raccorde le sourire, nous redonne vigueur et courage, apaise la violence et réinstaure une paix intérieure.

Je ne sais pas ce qui joue dans vos chaumières, ces jours-ci. Peut-être écoutez-vous des chœurs pour peupler votre solitude, du Satie pour calmer vos enfants, du métal pour vous défouler, du funk pour vous activer le popotin ou des requiem en boucle, par désespoir, mais j’ai envie de vous proposer une chanson. Une seule. Parce que peu importe l’état dans lequel je me trouve, celle-ci a raison de moi. Plus grande, plus forte que moi, cette chanson.

Elle est de Flavie. Je ne m’en cache pas, c’est une amie. Des belles chansons, elle en a un paquet. Et si vous ne l’avez jamais vue en spectacle, quelque chose de cette vie sur Terre vous échappe. Je ne peux malheureusement pas l’intégrer à mon texte – il me faudrait l’abonnement suprême plus-plus à WordPress, dont le prix, particulièrement en période de confinement, est indécent –, mais vous la trouverez en suivant ce lien : https://flavie.bandcamp.com/track/tijuana

Bonne écoute. Moi, je vous donne rendez-vous ici, demain.

Retailles partage

Journal de quarantaine – Jour #24

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Crédit photo: Michel Hébert

Bruit blanc

Vendredi dernier, 3 avril, devait être une journée de mobilisation pour sensibiliser la population et les administrateurs d’État aux crises causées par les changements climatiques et l’effondrement de la biodiversité. Vous savez, ces crises que les scientifiques, dans une quasi-unanimité, tentaient de nous éviter en nous alertant depuis des décennies? Ce devait être l’occasion d’une grande manifestation, dans l’esprit de celle qui avait animée le monde entier le 27 septembre dernier. Évidemment, dans le contexte actuel, ce plan est tombé à l’eau.

Plutôt, rallié.es par un événement Facebook qui n’avait créé qu’un bien maigre engouement, nous nous sommes retrouvé.es, à 19h, armé.es de casseroles. Nos voisin.es de chansons du dimanche y étaient aussi, et ainsi, chacun.e sur notre balcon donnant sur une Christophe-Colomb tranquille, nous tapochions vigoureusement sur nos casseroles, au grand dam de nos cuillères de bois, désormais inutilisables.

L’événement n’avait pas été médiatisé et, parce que nous n’avions aucune banderole pour sensibiliser les gens à notre cause, la force de notre message était relative. Au bout d’un moment, d’une voiture arrêtée au feu rouge est sortie une femme, enthousiaste, qui nous a crié, en nous envoyant la main :

– Merci! J’arrive de travailler! Ça me touche vraiment. Merci!

Pour tout dire, j’étais vraiment heureux qu’elle se soit sentie interpelée par nos casseroles. J’ai bien envie de dire merci à tous ces gens qui, pendant qu’on se fait dire de rester sur notre divan, travaillent des heures impossibles, au prix de leur vie familiale et de leur santé. Notre message était une bouteille perdue en mer, mais, par inadvertance, nous avions redonné des forces à une femme qui, peut-être, en avait grand besoin. Même si, soudain, notre objectif prenait le large, j’étais content.

Nous n’étions que sept – en comptant mon garçon, un peu interdit sous ses coquilles anti-bruit –, et pourtant, le tintamarre de nos casseroles était spectaculaire. Le son strident et saccadé se répercutait sur les bâtiments qui nous faisaient face, et le bruit – il y a des limites à enjoliver la vie, ce n’était ni musique ni rythmes endiablés – se mêlait à son propre écho en un tourbillon hypnotisant, qui me donnait l’impression de créer une mauvaise imitation de Philip Glass.

Nous avons aperçu quelques acolytes qui, au loin, se prêtaient aussi au jeu des casseroles. Plus enthousiastes, ils arpentaient la rue en dansant, scrutant les fenêtres des maisons non pas à la recherche d’arc-en-ciel, mais bien de gens, avec l’espoir de les convaincre de se joindre à leur danse. En vain. Eux aussi sans banderole, qui sait comment leur tapage était interprété? Au demeurant, ils n’étaient peut-être que des chamans qui, grâce à des incantations bienfaisantes, cherchaient à restaurer la santé de la population.

Au début du confinement, plusieurs mèmes internet ont circulés, suggérant que les responsables de la mobilisation liée aux changements climatiques devraient s’inspirer du travail de sensibilisation à la COVID-19.

Coronavirus vs Climate change

J’ai ri, bien sûr. Il me semble bien que c’était ironique, d’ailleurs. Reste que c’est confrontant : pourquoi a-t-on entendu la menace de la COVID-19, tandis qu’on refuse d’admettre celle des changements climatiques? J’admets que la sensibilisation, la vulgarisation et la communication en général, en lien avec le coronavirus, ont été bien faite. Des graphiques faciles à comprendre – la fameuse courbe – et des termes évocateurs – la distanciation sociale –, entre autres réussites, nous ont aidé à comprendre ce qu’il fallait faire. Sans compter que les situations critiques de la Chine et de l’Italie ont marqué nos esprits.

Pourtant, les concepts clés liés aux changements climatiques nous sont aussi familiers. Nous savons ce que sont les émissions de gaz à effet de serre, nous pouvons mesurer l’impact de nos actions et comprenons ce qu’il faut faire pour éviter la catastrophe. Malgré tout, nous retardons sans cesse l’application de solutions pérennes et efficaces. Pourquoi?

Il serait difficile de ne pas blâmer le leadership de nos gouvernements. Soudainement mobilisé, notre gouvernement a décrété une décroissance spectaculaire – bien plus que le client en demande pour ce qui est des changements climatiques. Il a invité dans sa garde rapprochée un scientifique – quelques mois plus tôt, il refusait d’entendre les rapports concernant le troisième lien, pour ne citer qu’un exemple. Rassembleur, alarmé mais rassurant, il accompagne la population dans ce moment de transition spectaculaire avec calme et confiance, clamant qu’à l’impossible, nul n’est tenu. Résultat? La population emboîte le pas et, aujourd’hui, on nous annonce la fameuse lumière du bout.

On pourrait parler des Bolsonaro, Trump et Duterte de ce monde, mais la vérité est que la gouvernance est sensiblement la même partout : responsable et prête à faire ce qu’il faut. Ont-ils vraiment besoin que nous fassions des banderoles pour prendre leurs responsabilités? J’aime bien l’idée que nos casseroles, dans un même élan, encouragent les gens de la première ligne et appellent à prendre nos responsabilités vis-à-vis de la planète. Après tout, ne pouvons-nous pas mener deux combats de front, surtout quand ils semblent aussi étroitement liés?

En attendant d’être au bout du tunnel, je vous donne rendez-vous ici, demain.

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Journal de quarantaine – Jour #23

Journal de quarantaine #23

Carcasses de vélo trouvées à moins de 25m de chez moi.

Les vélos de la honte

Le 25 mars dernier, le gouvernement Legault, selon ses propres mots, a mis « le Québec sur pause », ordonnant la fermeture des commerces dits non-essentiels. Entre autres commerces essentiels figuraient les garages pouvant réparer automobiles et camions. A contrario, les ateliers de réparation de vélo ont dû fermer boutique.

Une semaine plus tard, cet édit a été renversé et les ateliers de réparation de vélo ont pu rouvrir leurs portes. Le décalage de ces décisions caquistes est néanmoins évocateur de cette vieille mentalité – le terme « culture » serait probablement plus approprié –, qui considère le vélo comme un simple loisir.

Il n’est pas question ici de ressortir la hache de guerre au cœur de la bataille entre cyclistes et automobilistes. D’ailleurs, la cohabitation de la route s’améliore graduellement, même si beaucoup de chemin reste à parcourir (pardonnez le jeu de mots). Reste que le vélo demeure, aux yeux de plusieurs, un moyen de transport de second ordre, et en dépit de l’adoption de certaines mesures, les conditions des cyclistes s’améliorent avec une main sur le frein.

L’administration actuelle de la ville de Montréal est pourtant favorable au vélo. Pour cause, les Montréalais.es parcourent, en moyenne, 49 km à vélo par semaine, passant un peu plus de 4h sur leur selle (la moyenne québécoise est de 3,3h). Pourtant, il n’est pas rare de trouver des supports à vélo installés en l’envers. La chose semble anodine, mais en plus d’empêcher de maximiser son utilisation, cette méprise témoigne d’une ignorance ou d’une négligence malheureuse. Que dirait-on si les lignes de stationnement pour voitures étaient peintes dans le mauvais sens?

Pire encore, les rues de Montréal sont ces jours-ci le théâtre d’un spectacle désolant. Nombre de carcasses de vélo gisent un peu partout, les rayons brisés, les cadres pliés et les roues tordues, quand elles ne sont tout simplement pas disparues. Les vélos sont pourtant bien en place, convenablement barrés sur les supports que la ville a maintenus en place pour l’hiver. Or, à quoi bon offrir des espaces de stationnement aux vélos si c’est pour que les employés de cette même ville les démolissent de leurs pelles?

Les recours contre la ville, en cas de dommages causés par les déneigeuses, sont à peu près nuls. Que ce soit une voiture ou un vélo, il faut procéder à une réclamation auprès de sa compagnie d’assurance. Autrement dit, la ville s’en lave les mains et le conducteur fautif de la déneigeuse, auteur d’un délit de fuite, jouit de l’impunité.

Que deviendront ces carcasses? D’autres employés de la ville viendront-ils nettoyer l’outrage en les emportant à l’écocentre, ou ces vélos seront-ils toujours attachés aux poteaux de leur malheur lorsque les restes du 1er juillet viendront s’empiler sur les trottoirs? En attendant, nos rues ressemblent à des cimetières de ferrailles, où de tristes éclopés de l’hiver gisent, soudain inutiles.

Le vélo est au cœur de nos existences. Plus rapide que la marche et, dans certains cas, que le transport en commun et la voiture. Il ne produit aucune pollution, sinon celle, nous rappellerait Maxime Bernier, que nous émettons en respirant. C’est un outil pratique. Un véhicule qui mérite soin et attention. Les beaux discours de nos administrateurs d’État ne suffiront pas si, sur le terrain, le vélo demeure un obstacle, une ferraille quelconque. Un objet non-essentiel.

Pour la suite, rendez-vous ici, demain.

Retailles partage

Journal de quarantaine – Jour #22

Journal de quarantaine #22

Crédit photo: Michel Hébert

Procréation sans assistance

Ma blonde a accouché à l’hôpital général juif (HGJ). Le 2 mai, ça fera un an. C’est rien, un an, mais dans la vie d’un nouveau parent, c’est 365 jours – et surtout, ne l’oublions pas, 365 nuits – de nouveaux apprentissages, d’adaptation, d’intégration de nouveaux réflexes, de nouveaux modes de vie, de questionnements, de réponses approximatives, de félicité et de découragements. Un an, ça me semble être si loin, à des lieues, quelque part dans une autre vie. Et pourtant, quand j’ai lu vendredi que l’HGJ interdirait aux parturientes d’être accompagnées, j’ai été ramené en-arrière. Soudain, le 2 mai 2019, c’était hier.

Ma blonde et moi avons eu la chance d’être suivi par une sage-femme, à la maison de naissance Côte-des-Neiges. Je crois qu’il n’existe pas meilleur suivi, mais comme je n’en ai connu aucun autre, je n’en ai aucune idée. Disons que l’approche humaniste, professionnelle et sans condescendance, centrée sur l’expérience et le partage, nous a comblés. En plus du suivi, nous avons lu des livres – surtout ma blonde, honnêtement –, visionné des documentaires et profité du partage de récits d’accouchement d’amies. Je ne veux pas parler pour ma blonde. Pour ma part, à défaut de me sentir prêt, je dirais que je me sentais outillé.

Mais vous savez ce que c’est. On se prépare une ligne de Maginot de confiance et les événements se faufilent par toutes les craques de notre défense. Pour un littéraire, le réel est souvent bien maudit. Évidemment, tous les possibles que nous avions anticipés – ou, devrais-je dire avec le recul : espérés – ne se sont pas concrétisés.

Je ne vous raconterai pas l’accouchement, pas plus que je ne blâmerai le personnel médical en place. C’est un fait connu en maternité : chaque année, il y a une recrudescence d’accouchements en avril, mai et juin – précisément les mois qui nous préoccupent à l’heure actuelle. L’hôpital a coupé dans ses effectifs ces dernières années et le personnel est débordé. Pendant les six heures de contraction, nous étions seuls dans la chambre, visités de temps à autre par une infirmière attentionnée, mais à la course. La surveillance était inexistante : on s’est fait voler notre sac de bouffe de résistance.

Des complications à l’accouchement ont entraîné une césarienne d’urgence et notre fils s’est retrouvé aux soins intensifs, sans que ma blonde n’ait pu le voir. J’ai pu suivre l’équipe et, une fois que son état a été stabilisé, j’ai pu revenir auprès d’elle pour la rassurer, elle qui attendait, mortifiée, dans l’inconnu. Plus tard, c’est moi qui ai pu voir notre fils en premier, le prendre dans mes bras. Il a fallu insister beaucoup pour que ma blonde, neuf heures après l’accouchement, puisse enfin aller le retrouver.

Les jours suivants, de l’aile post-partum où nous nous trouvions, c’est encore moi qui allais porter le colostrum, si précieux, jusqu’à l’aile de soins intensifs néonatals, à l’autre extrémité de l’hôpital, où notre garçon se remettait de débuts périlleux. Je ne prétends pas avoir été indispensable. Mon garçon serait né, ma blonde aurait survécu. Mais sont-ce là nos seules exigences? La désorganisation du corps médical était telle que, sans l’entêtement de ma blonde – en réalité, de la clairvoyance -, son allaitement aurait pu être rendu impossible.

Je me répète : je ne blâme pas ces femmes qui, même si débordées, nous soutenaient et soignaient ma blonde et mon fils. Reste que nous y étions, dans ces moments de grands bouleversements, souvent laissés à nous-mêmes. Dans ces circonstances, même outillés, il était difficile de prendre des décisions avec sang-froid. D’autant que l’HGJ a l’une des maternités les plus interventionnistes au Québec, des interventions pas toujours jugées nécessaires.

L’accouchement, aussi beau et précieux soit-il, est un moment traumatisant. Son déroulement a des conséquences importantes sur la santé de la mère et celle de l’enfant et, même si nous sommes redevables du corps médical pour mille et une raisons, le soutien psychologique et même physiologique – par l’application de la méthode Bonapace, notamment – est fondamental. Pour accoucher, il faut se sentir en sécurité et confortable, comme si on était à l’abri. Comment faire naître un tel sentiment sans la présence d’un être aimé, dans une chambre stérile, froide, avec des capteurs et des fils qui limitent les mouvements?

Priver le ou la partenaire de sa présence est scandaleux. Je ne peux physiquement être enceinte. Je ne peux pas accoucher. Ce n’est pas une partie de plaisir, je sais bien, mais c’est une expérience de vie que je ne pourrai pas connaître. Tout ce qui est en mon pouvoir, c’est d’être là. Être là. Soutenir ma blonde. Lui donner tout ce que je peux. Et accueillir mon enfant dans le monde. Peut-on vraiment priver quelqu’un.e de ce droit? La lettre signée aujourd’hui dans Le Devoir par des professeur.es de Droit suggère que non.

Les femmes peuvent accoucher seules. L’histoire, spectaculaire et étonnante, l’a démontrée, mais je ne pensais pas que nous étions prêt.es à faire ce bond en arrière. Je comprends la situation actuelle et les mesures exceptionnelles qui doivent en découler. On a défendu cette interdiction en arguant que certain.es partenaires avaient refusé de suivre les procédures en place. C’étaient des cas exceptionnels. J’admets que le personnel médical est particulièrement exposé, mais est-ce que la seule façon de les protéger est d’ériger l’exception en règle absolue?

Je reconnais que nous sommes en crise. Des gens meurent. Mais la vie continue, aussi. Des enfants naissent. Des parents se proposent d’assurer la relève. Surtout, des femmes accouchent, aujourd’hui, animées par cette force inouïe qui leur permet d’engendrer la vie. Ne pourrions-nous pas les aider?

Journal de quarantaine – Jour #21

Journal de quarantaine #21

Crédit photo: Marie-Pier Desharnais

Lendemain de veille

Ainsi donc, on en a viré toute une hier. Qui aurait cru que la simple histoire d’une sortie au bar nous aurait un jour été présentée comme de la science-fiction ou, au mieux, une œuvre d’anticipation? Il faut voir le bon côté des choses : ce matin, on s’est levé frais comme des roses, pas éméché.es pantoute, prêt.es à débuter ce perpétuel mardi.

Pas saoul, donc, ni lendemain de veille, mais quand même. Aujourd’hui, je vais me donner un peu de répit. C’est essoufflant, cette histoire-là. Ce soir, je vais chanter avec mes voisins, peut-être en ferez-vous autant? Pour l’instant, je vous ferais travailler un peu. Vous voulez bien m’aider?

Je cherche à monter une banque de données pour un article. En admettant que ce ne sera jamais scientifique, plus j’ai de références, plus ma démonstration sera pertinente. Je cherche des couples amoureux dans des œuvres de fiction, de cinéma ou de téléséries, sorties idéalement après 2000. Exemple : Leonardo DiCaprio et Kate Winslett dans Titanic (oui, je sais, Titanic est sorti en 1997).

Vous me donnez le titre du film et le couple amoureux (en me donnant le nom des comédien.nes ou de leur personnage). Vous pouvez me refiler ça via la boîte des commentaires ci-après, par Facebook ou par courriel, à mesretailles@gmail.com. Plus vous m’en donnez, mieux c’est. Je ne vous dis pas c’est quoi mon hypothèse de départ : vous le saurez bien assez tôt.

Si vous avez besoin de vous remonter le moral, allez écouter ça : https://www.youtube.com/watch?v=lxuAOBKfi1M

Vous l’aurez deviné : je vous donne rendez-vous ici, demain.

Journal de quarantaine – Jour #20

Journal de quarantaine #20

La prochaine veillée

Ça a commencé par cet appel à toustes d’un ami : « J’ai décrotté mon tapis volant. Je vous rejoins au bar, disons ce soir? » Quelques minutes plus tard, une autre amie répondait : « Bin kin. Une date avec Aladin? Je suis là! » Et puis ça a déferlé. Tout le monde y serait. Comment on allait rentrer dans le bar? Aucune idée. Mais surtout, comment on allait pouvoir patienter aussi longtemps avant d’arriver au pub? Il était à peine 11h.

Ça faisait des semaines, des mois. Il y avait bien eu quelques verres en vidéoconférence, mais rien qui s’approchait du bonheur de se regarder les yeux dans les yeux et de sentir la chaleur de nos corps. Quelle frénésie que de se retrouver ensemble et de pouvoir rebondir de réparties en réparties, sans qu’il y ait cette pause étrange où, chacun de son côté de l’écran, on attendait que l’autre parle pour saisir ce qu’il avait dit.

La première gorgée est née dans ce courriel. Elle n’avait ni mousse, ne pétillait pas et elle n’explosait pas d’arômes de houblon, pas plus qu’elle révélait un fruit généreux, des notes de cacao, un petit perlant rafraîchissant ou un expressif tanin. Cette gorgée, c’était une idée. Un sentiment. Elle annonçait la redite de plusieurs autres gorgées et la promesse d’un bonheur immense. Elle nous a accompagnés, d’heures en heures, toute la journée.

Puis le soleil s’est mis à taper oblique sur la maison, pénétrant par les fenêtres arrière. Irriguant la cuisine et se faufilant jusqu’au salon, il est venu chatouiller nos orteils. On a reçu sa visite comme le constat que la journée de travail était terminée. On a posé l’ordinateur. Dans le frigo nous attendait une bière. D’autres auraient pris un cocktail, un vin ou un café. Certains auraient argué que c’était tricher, prendre un verre avant d’aller prendre un verre. Mais dans cette bière, il y avait aussi du café, et on ne connaissait pas de meilleure façon de commencer une soirée qu’on se promettait festive.

Ça a fait pshhhtt. Comme dans les films. Comme dans les publicités. Ça a fait pshhhttt jusque dans notre cœur. Le liquide opaque, presque liquoreux, est venu cajoler le verre. On a laissé monter la mousse, pour placer un beau collet, comme un créma, agissant avec excitation mais de façon alerte, presque professionnelle. Comme dans les films. La mousse a débordé un peu et une goutte a tracé son chemin sur l’extérieur du verre, comme dans les publicités. Alors, humant les arômes de torréfaction et de café, on a plongé nos lèvres dans la mousse, comme un enfant dans son verre de lait et, en fermant les yeux, on a laissé cette première gorgée opérer sa magie.

La soirée était officiellement commencée. On a sorti la guitare, gratouillant au hasard. Les chansons venaient à nous avec aisance. Lisa Leblanc mettait le feu aux poudres. Jean Leloup en rajoutait. Félix Leclerc ressuscitait des morts et regardait les Bélanger, Desjardins et Adamus, l’air de leur dire : « Vous êtes pas game de venir me rejoindre. » Mais tout ça, bien sûr, dans un français irréprochable.

La bière n’a offert aucune résistance et, sans qu’on s’en aperçoive, c’était l’heure de partir. Folâtre, on a mis une fleur à notre boutonnière, un béret rouge sur nos traits blanchis par le confinement et notre chandail de matelot, comme si on partait en voyage. Dehors il faisait bon l’été. Les cordes-à-linge étaient sans pudeur et dans l’air flottait un parfum de lessive fraîche. Les oiseaux nous sifflaient sur notre passage et les écureuils nous regardaient en faisant des provisions de beauté. Puis l’air s’est peuplé des effluves de malt en ébullition et, en débouchant sur Laurier, on a aperçu la file qui, déjà, s’étirait devant le pub.

Quelques ami.es étaient arrivé.es, confortables à une table où une place nous attendait. Le menu des bières annonçait beaucoup de bonheur et, en s’asseyant, la serveuse est arrivée avec les verres. Un sourire espiègle éclairait son visage, entre chacune de ses réparties.

– Excusez-moi, c’est pour une bonne cause!

Elle a posé une bière devant nous. Précisément celle que nous aurions choisie. L’ami a repris le fil de son histoire et, tout en trinquant au temps à rattraper, nous avons plongé dans nos verres, de la mousse jusqu’au bout de notre nez. Une décharge d’agrumes et d’acidité, coiffés d’une petite amertume sèche, nous a confirmé que le brasseur n’avait pas perdu la main.

Les ami.es sont arrivé.es, un à une, pareil.les à hier, nous gonflant d’amour. Le hasard a voulu que les gens des tables voisines quittent au fur et à mesure de l’arrivée des ami.es, si bien que notre tablée prenait de l’expansion, s’étalant dans le pub comme marée de pétrole dans l’océan. Il semblait que la moitié de l’équipe de service était sur notre cas, mais, était-ce le plaisir de recommencer à travailler, leur présence était agréable, avenante, comme une vigile de notre bonheur.

Le pub a manqué de chaises, le tableau a manqué de bières et l’horloge a manqué d’heures. Il y avait encore tant à se raconter, mais le dernier service est arrivé sur la soirée comme l’alarme du réveille-matin sur la douceur d’un rêve. Dehors, nos carrosses étaient sur le point de redevenir citrouilles. En se prenant dans nos bras, longuement, comme si c’était la dernière fois, on s’est promis de remettre ça au plus tôt.

Et alors, profitant de l’élan de la soirée, l’ami a proposé de nous redonner rendez-vous ici, demain.